Adèle Charvet : « Je vais chanter Carmen, Mélisande et Siebel la saison prochaine »
Adèle Charvet, vous êtes nommée parmi les Révélations lyriques aux Victoires de la musique classique. Quels airs avez-vous présentés lors du concert des révélations, et pourquoi ?
J’ai choisi de présenter quatre courts morceaux car on n’a pas de restriction de nombre mais de temps (on ne doit pas dépasser 12 minutes). J’avais à cœur de montrer ce que je sais faire sur le plan opératique, mais aussi sur la mélodie et le Lied, qui sont un peu ma spécialité. Et puis je ne voulais pas sous-employer mon accompagnateur, le pianiste Florian Caroubi. J’ai d’abord chanté Crude Furie extrait de Serse de Haendel. Pour cet air, j’étais accompagnée par Justin Taylor qui est un très bon ami. Je trouve que son ensemble Le Consort est la relève de l’interprétation baroque : ils sont merveilleux musicalement et délicieux dans la vie. Je voulais m’entourer de personnes très fortes musicalement. Justin a une présence très douce et sécurisante. J’ai chanté ensuite la romance de L’Etoile de Chabrier, puis deux mélodies, El Vito d’Obradors et Ich Atmet' Einen Linden Duft, extrait des Rückert-Lieder de Mahler. Je voulais montrer un panel large de mon répertoire : le baroque fait partie de mes premières amours. Je voulais aussi chanter en français : l’air de L’Etoile n’est pas très connu mais il a tout d’un tube. Le Mahler me permettait de mettre en avant mon goût pour le Lied. Enfin, avec El Vito, je souhaitais montrer du tempérament.
Êtes-vous satisfaite du résultat ?
Je ne suis pas du genre à me flageller après les concerts car je sais que je donne à chaque fois tout ce que je peux donner au moment où je le donne. Cela faisait des années que je n’avais pas participé à une compétition : la pression m’a empêchée de prendre du plaisir, ce qui m’a déçue. Le visionnage des vidéos m’a toutefois un peu rassurée. Mais l’exercice n’est pas facile car on est convoqués tôt pour faire de nombreuses interviews, des photos, un blindtest, puis il faut chanter avec les caméras devant la figure. C’était éreintant.
La prochaine grande étape sera la cérémonie : qu’en attendez-vous ?
Les votes seront clos donc tout sera déjà joué : ce sera du bonus. On a la chance de pouvoir chanter un morceau solo chacun. Je suis très contente de ce que je vais chanter, d’autant que je serai entourée d’artistes que j’estime beaucoup. Ce ne sera pas du tout un tube, mais la production a accepté malgré tout : je les en remercie. Mon angoisse est de rester assise deux heures puis de devoir chanter sans avoir échauffé ma voix : j’espère que nous pourrons nous exfiltrer pour faire quelques vocalises avant l’interprétation.
Vous avez déjà fait l’émission, Un soir de fête avec Roberto Alagna, qui était enregistrée : qu’est-ce que cela change ?
C’était stressant même si c’était enregistré et qu’on pouvait reprendre les morceaux qui n’étaient pas assez bons. Mais j’ai passé un très bon moment, même si les conditions sont très spéciales : on est amplifiés, il y a des chauffeurs de salle. Il y avait beaucoup de très grands chanteurs réunis dans une seule loge. J’ai chanté Ombra mai fu de Serse, dans lequel j’étais très à l’aise pour avoir déjà chanté le rôle.
Qu’aimeriez-vous qu’une Victoire change pour vous ?
Je suis très contente du déroulement de ma carrière : je ne voudrais pas que ça change quoi que ce soit, si ce n’est que ça m’apporte du travail. Je ne suis pas à plaindre, mais il y a toujours une angoisse sur le futur. Je suis déjà ravie de la publicité que cela m’apporte.
Avant ce concours, vous aviez déjà notamment remporté le Prix de mélodie du Concours international Nadia et Lili Boulanger : ce prix a-t-il changé quelque chose ?
Je n’ai fait que deux concours avant les Victoires, dont celui-ci en 2015, en effet. Marie Perbost [également nommée parmi les révélations, ndlr] y avait gagné le Grand prix. L’année d’après, j’ai fait l’International Vocal Competition d’Hertogenbosch, un grand concours de Lied où on a gagné le Grand prix et cinq prix spéciaux avec Florian Caroubi. Marie Perbost y participait d’ailleurs également ! Je n’aime pas trop les concours : c'est pourquoi je n’en ai fait qu’en duos.
Comment vous êtes-vous retrouvée aux Victoires ?
La production m’a contactée. J’avais déjà été approchée il y a trois ans, mais c’était trop tôt. Cette année, il m’a semblé que je pouvais avoir ma place. J’ai été très honorée lorsque j’ai appris la nouvelle de ma nomination. J’ai eu l’impression d’être adoubée par le milieu. Ça fait d’autant plus plaisir que j’estime les autres chanteurs nommés. Je ne doute pas du choix que j’ai fait en devenant chanteuse, mais cette nomination légitime cette décision.
Vous chantez actuellement une Fille-fleur dans le Parsifal de Toulouse : que vous apporte cette expérience ?
Je chante 15 minutes dans un opéra qui dure 4h30 : le reste du temps, je me place dans les coulisses et je me régale. Le plateau vocal est extraordinaire. Sophie Koch, qui chante sa première Kundry, est stratosphérique, Nikolai Schukoff est magnifique. Ils sont très forts : je m’imprègne de leur rigueur professionnelle, de constance dans le travail. Par exemple, je n’ai jamais entendu Sophie Koch marquer [répéter sans chanter à pleine voix, ndlr] durant les répétitions : elle chante chaque note avec une santé vocale impeccable. Elle est toujours d’humeur égale, ne se plaint jamais, reste toujours polie et sympathique. C’est un bon modèle.
En mars, vous chanterez Sephano dans Roméo et Juliette à Bordeaux, une maison dans laquelle vous avez déjà beaucoup travaillé : comment avez-vous tissé ce lien ?
C’est en effet ma maison de cœur. J’ai beaucoup d’estime pour le Directeur de casting de Bordeaux, Julien Benhamou, qui m’a entendue très jeune et qui me suit depuis. Marc Minkowski [le Directeur de l’Opéra de Bordeaux, ndlr] et lui misent sur les jeunes talents, français en particulier. J’y chanterai d’ailleurs Carmen la saison prochaine. Je m’y sens très à la maison : je m’entends très bien avec l’Orchestre et le Chœur. La salle est à l’échelle de ma voix, qui est encore jeune : je m’y sens vraiment bien.
À l’inverse, vous n’avez pas encore débuté à Montpellier, votre ville de naissance : avec quel rôle aimeriez-vous y débuter ?
L’opéra français ou le répertoire mozartien seraient super. J’aimerais chanter mes premiers Cherubin, Sesto, Idamante, Dorabella : c’est ce que je dois chanter. Ça ferait plaisir à toute ma famille de venir m’y écouter.
Viendront ensuite vos débuts à l’Opéra de Paris, dans le rôle de la Comtesse Ceprano dans Rigoletto : était-ce important pour vous de découvrir Bastille ?
J’y mets un petit pied cette année avec ce rôle, avant d’y revenir l’an prochain en Mercedes dans Carmen dans la mise en scène de Calixto Bieito. Ce rôle est ingrat dans la vocalité, qui demande beaucoup de travail, mais il est dans le bon registre pour que ma voix porte dans la grande salle. J’ai hâte d’y être.
Ces derniers mois ont été intenses. Vous avez d’abord interprété Ascanio dans Benvenuto Cellini au Festival Berlioz puis en tournée (lire notre compte-rendu). Qu’en retenez-vous ?
Ça a été la production la plus difficile de ma vie. La tessiture de ce rôle est très longue et très large, avec un orchestre gigantesque. La prosodie est complexe : la partition semble écrite pour qu’on s’y casse la voix. J’ai été distribuée très tard et ai donc eu peu de temps pour appréhender le rôle : nous avons répété une semaine seulement dont trois jours de mise en scène. J’ai la chance d’avoir une bonne mémoire musicale, mais j’ai tout de même eu des difficultés : les ensembles, notamment, sont complexes. Le rythme de la tournée était éreintant également : on est beaucoup dans les transports, on dort très peu, on fait des raccords en deux-trois heures avant de chanter le soir, dans des espaces vraiment différents, notamment en plein air à La Côte-Saint-André et dans la salle vertigineuse des Proms de Londres, qui ressemble à un stade : on ne sait pas où part le son. En revanche, je n’ai jamais chanté dans une acoustique aussi belle qu’à la Philharmonie de Berlin. Je me suis beaucoup remise en question et me suis endurcie avec cette production. Si c’était à refaire, je me poserais la question : le rôle est sans doute un peu trop large vocalement pour moi.
Vous avez fait parler de vous en remplaçant le contre-ténor David DQ Lee à l’entracte du Messie de Haendel à l’Auditorium de Radio France : comment avez-vous vécu les conséquences de cet événement ?
J’étais très partagée entre la fierté de l’avoir fait, et un sentiment d’imposture qui grandissait au fur et à mesure que l’histoire a pris de l’ampleur. Certes, j’ai déchiffré la partition en direct, mais cela montrait au monde que je n’avais jamais déchiffré Le Messie alors que cela doit faire partie de mon répertoire. Il y a eu beaucoup d’adrénaline, mais je l’ai fait parce que je savais que j’en étais capable : je ne l’aurais pas fait avec du Ligeti. Ça a pris beaucoup d’ampleur, dépassant le monde de la musique classique française. Il y a eu des articles au Japon, aux Etats-Unis, à Malte, au Mexique. En France, il y a eu un article dans 20 minutes ou encore un reportage sur BFM. J’étais ravie de pouvoir expliquer mon métier ou de recevoir des messages d’amis d’enfance éloignés du monde de l’opéra. Tout ça a été une formidable chance car je sortais mon disque un mois plus tard : j’ai eu accès à des plateformes de communication dont je n’aurais même pas pu rêver autrement.
Vous avez en effet sorti votre premier album en novembre chez Alpha, Long time ago : comment cela s’est-il fait ?
Avant que je ne démissionne du Conservatoire, Susan Manoff, qui y enseigne, m’a proposé de faire une session de travail avec elle. Nous nous sommes donc retrouvées un après-midi et nous nous sommes ruées sur la musique américaine. Ça faisait longtemps que ce répertoire me trottait dans la tête : j’ai passé ma petite-enfance à New York, ce qui a été fondateur pour ma sensibilité musicale. Il y a une condescendance en France vis-à-vis de ce répertoire qui est donc très peu joué. Ayant trouvé la partenaire idéale pour le faire (Susan est new-yorkaise), je m’en suis emparée. Susan a parlé du projet à Didier Martin du label Alpha qui a tout de suite accepté de nous suivre sur cette aventure artistique singulière. On a mis un an à élaborer le programme car nous voulions que ce soit vivant à l’écoute et en récital : nous l’avons d’ailleurs présenté aux Bouffes du Nord en décembre [notre compte-rendu, ndlr] et à Coulommiers, et il va continuer à tourner. Nous avons enregistré au studio Teldex [situé à Berlin, ndlr] ce qui était le grand luxe.
Avez-vous d’autres projets d’enregistrement ?
J’ai signé un contrat pour trois disques, mais les projets suivants sont encore embryonnaires. J’ai hâte, même si c’est un exercice difficile : on est dans la sur-analyse de notre travail, ce qui génère beaucoup de remises en question, mais cela ouvre de nouvelles portes d’expression.
Vous avez également participé à la tournée de Liberta ! : comment vous êtes-vous retrouvée sur ce projet ?
Stéphanie d’Oustrac n’était finalement pas libre. J’ai donc auditionné pour Raphaël Pichon, avec qui j’avais travaillé à Aix-en-Provence lorsque je faisais l’Académie l’été dernier (avec Marie Perbost, là encore !) et qui est un immense chef. J’adore son rapport au travail, sa rigueur et la richesse de ce qu’il nous apporte. L’Orchestre Pygmalion est extraordinaire (le Chœur, qui ne participait pas à ce projet, est selon moi l’un des meilleurs chœurs au monde). Les autres chanteurs étaient tellement forts et inspirants, notamment Nahuel di Pierro qui a fait un travail de mise en scène génial. J’avais beaucoup d’attente autour de ce projet, mais je n’ai pas été déçue. Ça a été dur de faire autre chose après, tant on s’approchait d’un idéal. J’espère que cette expérience me permettra de chanter du Mozart quelque part.
De quoi votre saison prochaine sera-t-elle faite ?
La saison prochaine, je ne ferai que des prises de rôles, sur de l’opéra français. Je vais chanter ma première Mélisande à Rouen : c’est un rêve car la musique est fabuleuse, vertigineuse. Je vais également chanter Sélysette dans Ariane et Barbe-Bleue de Dukas dans une grande salle. Je chanterai enfin Siebel dans Faust, à l’étranger. Je suis enchantée de cette saison, même s’il manque du Mozart, la musique la plus jubilatoire qui soit !
À part Mozart, ces prises de rôle dessinent-elles votre répertoire idéal ?
Pas complètement. J’ai envie de chanter le répertoire de mezzo légère et le baroque. Au début, je ne voulais pas me présenter comme une spécialiste du baroque, car il y a déjà de superbes chanteuses sur ce répertoire, comme Eva Zaïcik ou Ambroisine Bré. Mais ma voix appelle ce répertoire : elle est par exemple à son avantage dans Haendel. Il va y avoir un disque de Cadmus et Hermione de Lully, que j’ai adoré chanter avec Le Poème Harmonique. Des projets devraient venir sur ce répertoire, mais rien de confirmé à ce stade. J’ai un caractère vorace : je fais des choses très diverses et n’aime pas être catégorisée. On me renvoie parfois du coup la difficulté à me cerner, même si tous ces projets ont du sens à mes yeux. Et puis les artistes qui m’inspirent, comme Anne Sofie von Otter, ont des répertoires divers.
Quels sont les rôles que vous souhaiteriez installer comme vos rôles fétiches ?
Il est trop tôt pour me poser cette question : je ne peux pas savoir quels rôles je veux installer avant de les avoir expérimentés. Mes rêves sont de chanter un jour Octavian et le Compositeur, mais je n’ai pas encore la voix pour.
Êtes-vous attirée par l’international ?
J’ai surtout envie de chanter avec des gens qui me nourrissent, peu importe où. Ça m’irait par exemple très bien de chanter toute ma vie en France avec Pygmalion ! Je ne travaille que depuis deux ans : rien ne presse.
Ôlyrix a interviewé, comme chaque année, les trois artistes lyriques nommés dans la catégorie Révélations :
Kévin Amiel : « Je n’accepte plus que des rôles de premiers plans »
Marie Perbost : « Il faut valoriser les femmes qui ont de l’âge »