Parsifal dévoile un Graal rayonnant au Capitole de Toulouse
Particulièrement attendue au terme d’une trop longue absence,
cette nouvelle production de Parsifal confiée aux bons soins
d’Aurélien Bory pour la mise en scène, reçoit un accueil
enthousiaste de la part d’un public particulièrement recueilli et
attentif tout au long de la représentation. Mais c’est au chef
d’orchestre allemand, Frank Beermann, que les plus larges ovations sont offertes. Trop peu connu en France (une seule invitation à
l’Opéra de Marseille en 2004 pour La Sonnambula de Bellini avec
June Anderson), le maestro fut notamment Directeur musical de
l’Opéra de Chemnitz. Son vaste répertoire se développe ces
dernières années notamment autour des ouvrages de Richard Strauss
et Richard Wagner, essentiellement sur les scènes allemandes. Il est
cependant un fidèle de l’Opéra de Lausanne. D’une rigueur exemplaire et
toujours emplie d’une noblesse sans ostentation, sa direction
musicale évite tout débordement inutile, toute superposition
interprétative, pour atteindre à l’essentiel du message de
Richard Wagner. La respiration de l’orchestre est toujours à la
fois juste et généreuse, les couleurs se déploient avec une
assurance de chaque instant, le tempo se veut allant sans pathos et
sans solennité démesurée. La beauté intrinsèque parait au cœur
même de son approche. La tension qu’il parvient à insuffler au
deuxième acte notamment soulève les solistes qui se dépassent de
fait eux-mêmes. Il faut dire que l’Orchestre national du Capitole
se donne à lui sans aucune restriction. Une émotion intense s’installe et se développe durant
toute la représentation pour atteindre au troisième acte à une
sorte d’apothéose. Le Chœur du Capitole et la Maîtrise,
appuyés par le Chœur de l'Opéra national Montpellier Occitanie, se hissent au même niveau d’excellence et
de maîtrise.
Nikolaï Schukoff est un habitué du rôle de Parsifal. Mais ici, il atteint à une plénitude vocale nouvelle, libérée, plus claire, d’une richesse et d’une projection idéales pour le rôle. Et l’acteur parvient à rendre de façon angoissante les déchirements, les interrogations du personnage. Sophie Koch, après son Ariane de Dukas l’an dernier sur cette même scène, déploie encore toute l’ampleur décisive des moyens, la beauté du phrasé, l’ardeur d’un aigu dardé qui n’entame en rien le grave si caractéristique et un médium épanoui. Ses cris déchirants mêmes, donnent leur force à ce personnage tout empreint d’ambiguïté, constamment tiraillé pas ses démons et ses désirs. Le deuxième acte révèle deux chanteurs modernes et considérables pour l’interprétation actuelle du répertoire wagnérien.
Au même niveau se place l’Amfortas de Matthias Goerne. Apparaissant comme grabataire, soutenu en permanence et pour ses moindres gestes par plusieurs serviteurs, son chant se montre au contraire d’une beauté vocale stupéfiante, signe des dernières étincelles de vie de ce mort en sursis. Ses plaintes de l’acte I et III bouleversent par leur véracité et la douleur expressive qui en émanent. Peter Rose déploie une voix de basse imposante à la façon d’un orgue dans le rôle de Gurnemanz. De l’aigu au grave profond, l’interprète lisse un legato onirique, une musicalité qui rend ses récits pourtant longs toujours excitants à entendre.
Le baryton Pierre-Yves Pruvot s’éloigne heureusement des Klingsor souvent un peu âgés. La voix puissante et longue, au grain sombre, sa jeunesse même, redonnent sa force magnétique et maléfique au personnage. Julien Véronèse offre un Titurel particulièrement sonore avec maîtrise. Le bouquet des Filles-Fleurs se distingue par son homogénéité et l’interaction parfaite des timbres et des couleurs, mais aussi par le charme vénéneux déployé : Andreea Soare, première Fille-Fleur aux belles envolées lyriques, Marion Tassou, Adèle Charvet, Elena Poesina, Céline Laborie, Juliette Mars dont le timbre pur donne toute sa cohérence à la Voix céleste.
Kristofer Lundin et Yuri Kissin incarnent avec vigueur les Chevaliers de Graal. Les deux ténors toulousains Enguerrand de Hys -qui donne à entendre une voix qui pourrait supporter Mime par sa clarté et son tonus-, et François Almuzara, très inspiré lui aussi, incarnent pour leur part les Écuyers.
Scénographe -avec Pierre Dequivre- et metteur en scène du spectacle, Aurélien Bory propose un Parsifal en noir et blanc, entre ombre et lumière, dans une sorte de dualité permanente entre le monde des ténèbres et celui du ciel. Durant le prélude, des tubes éclairés dessinent sur le rideau de scène des runes germaniques mystérieuses tel un rappel des origines. Ces tubes deviendront plus tard la lance sacrée démultipliée entre les mains d’un Parsifal désormais consacré. Au premier acte, un grillage amovible recouvert de lourds branchages emprisonne sans espoir le royaume d’Amfortas et ses protagonistes.
Le temps et l’espace semblent figés. Tout un ensemble de personnages en noir gravitent pourtant sur scène, déplaçant des morceaux de décors ou des interprètes comme Amfortas. Un rideau clair en demi-cercle vient circonscrire le lieu. Au dévoilement du Graal, dans cette approche non symbolisée comme à l’habitude par le calice rougeoyant en lui-même, une magnifique aurore boréale apparaît évoquant une sorte de lendemain bienheureux désormais inaccessible. Le second acte s’avère totalement dépouillé avec seulement quelques fugitives apparitions lumineuses.
Les
Filles-Fleurs s’apparentent à des statues antiques, sobrement
revêtues de voiles, que le double de Kingsor vient animer dans une
sorte de danse de mort afin de séduire le jeune homme pur qui
s’approche du jardin enchanté. Au troisième acte, de multiples
lampes ou leds délimitent, par leur alignement soigné et évolutif, le temps et l’espace.
Au plan esthétique, la production, par sa relative austérité, son parti pris d’un immobilisme assumé et sa trajectoire donne une résonance réelle au spectacle. Mais le traitement strictement dramatique peine à s’imposer et manque à l’appel sans que cela par ailleurs ne vienne affecter notablement la puissance musicale de ce Parsifal des hauteurs.