Mignon à l’Opéra de Liège : l’Orchestre
Le maestro Frédéric Chaslin qui dirigera l’Orchestre de l'Opéra Royal de Wallonie-Liège avec la participation du Conservatoire Royal de Liège nous présente la phalange instrumentale : “Mignon, et Ambroise Thomas en général, fait remarquable à l’époque, ne regarde pas du côté de l’Allemagne et de Wagner, mais bien plutôt du côté de l’Italie. L’ouvrage est frappant par ses “ensembles” avec une culmination, comme dans les opéras de Bellini, Donizetti et du Verdi jusqu’à Aida inclue. Le contrepoint est tout à fait maîtrisé : c’est une discipline que Thomas aimait et où il excellait. Dès la première scène, l'ensemble mêle les solistes et le chœur avec une légèreté d’écriture remarquable. Et l’orchestre est traité tout en finesse, avec dans l’ouverture et les quelques interludes, une utilisation des instruments solistes, flûte, clarinette, cor et surtout la harpe qu’on entend beaucoup dans cet ouvrage.
Comme chez Verdi (ou Bizet, d’ailleurs) l’orchestration est efficace sans vouloir à aucun moment chercher à épater, que ce soit par des combinaisons inédites de timbres (qu’on pense à l'utilisation du saxophone chez Massenet ou déjà, chez Berlioz, d’instruments inattendus et rares) ou par un volume impressionnant : notamment l’utilisation des cuivres est prudente et réservée aux quelques moments dramatiques, ou bien seulement, “à l’italienne”, pour soutenir un effet de crescendo ou une culmination. Dans le discours orchestral aussi bien que vocal, il y a cette flexibilité des tempi, cette absence de ce que j’appelle volontiers les “autoroutes lyriques” qu’on trouve chez Wagner notamment, c’est-à-dire ces très longues séquences où le tempo ne varie plus, où l’on se laisse porter pendant parfois plus de dix minutes sur un élément qui passe d’une harmonie à l’autre, se développe en puissance et en couleur, mais où le rythme reste stable, où le paysage se déroule sans heurt. Avec Mignon au contraire, nous sommes sur les petites routes italiennes où tout change très vite, et l’orchestre est un acrobate qui passe rapidement d’un chanteur à l’autre, d’un tempo à un autre tempo, sans avoir le loisir de regarder le paysage.
Ambroise Thomas est à tous points de vue un compositeur de l’école 'classique' : il construit son architecture musicale sur des canons qu’il ne cherche pas à transformer, mais plutôt à utiliser et parfois à contourner. La grande ouverture nous expose les grands thèmes de l’opéra, et notamment ses deux « tubes », l’air de Mignon puis celui de Philine. Elle a l’originalité, comme les autres interludes, de nous présenter des instruments solistes dans des sortes d’improvisations qui sont là pour nous indiquer que nous avons à faire à l’histoire d’une troupe itinérante d’acteurs. Il est tout de suite frappant que Thomas, s’il aime mettre un air par-ci par-là, aime surtout les duos, trios, et même les grands ensembles avec chœur. Il utilise, avant la version aux récits chantés, la 'musique de mélodrame', musique d’accompagnement destinée à donner un fond sonore au texte parlé, procédé déjà employé chez Carmen. Et la redondance des récits chantés est évidente lorsqu’on voit que nombre de duos, trios, commencent par une séquence d’introduction au caractère encore très récitatif, pour amener la vraie mélodie à venir.
Il y a donc trois vitesses dans la partition originale : dialogues parlés, le chanté 'transitoire' et l’air proprement dit. Cet ajout des récits chantés ressemble à de la crème pâtissière qu’on rajoute après coup pour regonfler un gâteau déjà bien épais. Le trio du second acte « plus de soucis, Mignon », en est un parfait exemple : toute la première partie n’est que jeu entre une musique illustration, et des bouts d’airs qui pointent leur museau pour finalement se cristalliser dans le morceau proprement dit, « je crois entendre les doux compliments ». Sur le plan du style, Thomas ne pouvait faire l’impasse sur les origines du texte de Goethe, et certaines scènes de chœurs se terminent par une touche de valse viennoise ou un début de Polka rapide. Une concession pour le principe, un peu comme la Kermesse de Faust, seul élément 'germain' de l’ouvrage de Gounod.
Rendez-vous à Liège pour assister à cette nouvelle production, du 1er au 9 avril 2022.
Pour naviguer parmi les Airs du Jour de cette série, cliquez sur les liens ci-dessous :
1. La partition d’origine
2. Mignon
3. Philine
4. Wilhelm Meister
5. Lothario
6. Frédéric
7. Jarno
8. Laërte
9. L’Orchestre
10. Le Chœur