Au fait, pourquoi les théâtres sont-ils fermés ?
Voilà plus de 100 jours que les lieux de culture sont fermés, dont 55 depuis que le reste des activités ont pu reprendre. 55 jours durant lesquels la situation sanitaire et politique n’a connu aucune amélioration (et s’est même dégradée). Pire, les perspectives de réouverture ne se dessinent pas plus clairement après ces 55 jours. La Ministre reste “au travail pour définir des protocoles pouvant permettre une ouverture durable”, travail qu’elle mettait déjà en avant le 11 décembre dernier. Or, comme Roselyne Bachelot l’explique ce matin du 8 février 2021 (notre décryptage complet de cette intervention), “les guides de bonnes pratiques qui avaient été établis pour la réouverture après la première fermeture restent plus que jamais d’actualité” et aucune explication n’a été donnée à ce stade sur les raisons pour lesquelles ces protocoles ne peuvent suffire à une réouverture immédiate.
De fait, lors de la fermeture des théâtres il y a 100 jours, la logique était celle du confinement et du renoncement pour tous les lieux ne relevant pas de la "première nécessité" (pour reprendre le nouvel élément de langage ayant remplacé le désastreux “non essentiels”). Le Président de la République, le Premier Ministre et la Ministre de la Culture s’accordaient alors sur la sécurité que présentaient pourtant les lieux de spectacle grâce aux protocoles mis en place et au sérieux de leur mise en œuvre.
Puis, lorsque le 10 décembre, le Premier ministre annonçait que le déconfinement ne concernerait pas les lieux de culture, la raison invoquée était alors les flux générés : “ouvrir les lieux de culture mettrait 40.000 personnes dans les rues de Paris”, expliquait Roselyne Bachelot, alors que la sécurité sanitaire régnant dans les théâtres était de nouveau reconnue. Mais cet argument a dû être abandonné car il renvoyait, là encore, à l’idée d’une culture non-essentielle, des millions de personnes circulant alors dans les rues de Paris pour bien d’autres raisons. De même, la limite de 5.000 contaminations par jour, alors décisive, n'est plus du tout considérée comme un critère pour l'avenir (la Ministre parle désormais simplement d'une tendance à la baisse).
Changement de pied, donc, pour la Ministre de la Culture, qui devait revenir à une justification basée sur la sécurité dans les théâtres, sans pour autant être en mesure de pointer les failles qui résideraient dans les protocoles existants. Mélangeant tout, elle se demandait comment mettre en place les protocoles drastiques étudiés lors du concert test de Barcelone (concert debout sans distanciation) aux salles de spectacles proposant des concerts assis en jauge réduite (avec distanciation, donc) tout en feignant d’ignorer l’étude menée par la Philharmonie de Paris avec Dassault Systèmes et rassurant sur la sécurité au sein de ces dernières. Elle annonçait également que les lieux de spectacle vivant seraient les derniers lieux de culture à rouvrir, afin de préserver les artistes, auxquels elle demandait “en même temps” de répéter au cas où les théâtres pourraient rouvrir (aucune visibilité n'étant donnée), ainsi que pour des captations dont un grand nombre ne dispose pas de débouchés, France Télévision, dont elle est tutelle, maintenant sa politique d’arrêt des diffusions de spectacle vivant sur ses grandes chaînes afin de les déporter sur France 5 et la nouvelle chaîne TNT Culturebox, souvent même en deuxième ou troisième partie de soirée.
L’intervention de Roselyne Bachelot ce lundi matin témoignait de cette absence de justification à la fermeture des salles de spectacle : impossible d’être cohérent lorsqu’une décision n’est pas étayée par des arguments solides (et le cabinet de la Ministre n’a pour l’instant pas donné suite à nos sollicitations visant à clarifier ces points à travers une interview). Dès lors, sont convoquées l’émotion (“Il y 80.000 morts du Coronavirus, des centaines de milliers de personnes avec des séquelles extrêmement dures”, sans que le moindre lien n’ait jamais pu être établi entre ouverture des salles de spectacle et propagation avérée du virus), la réduction logique (par une comparaison à “l’exemple italien qui est plutôt l’exemple florentin, où le taux de contamination est moitié moindre qu’en France, où les conditions sont drastiques et où les lieux de culture sont fermés le week-end et aux groupes”, plutôt qu’à l’Espagne où la vie culturelle reste intense, sans que n’ait été identifié le moindre foyer de contamination) et lorsque le modèle espagnol est évoqué, la Ministre a trouvé un nouvel argument : les lieux de culture y seraient rouverts afin de ne pas avoir à indemniser les artistes (à ceci près que ce sont les artistes du monde entier, y compris les super-stars et les ensembles artistiques français, qui se rendent en Espagne pour pouvoir jouer).