La Culture crucifiée pour Noël
Dans une organisation désormais tristement bien rodée, le Président de la République Emmanuel Macron se réservait les bonnes nouvelles tel le Père Noël lors de son allocution du 24 novembre dernier, avant d’envoyer en Père Fouettard son Premier Ministre (nommé pour cette besogne, dans la foulée de ses actions en tant que Monsieur Déconfinement) se faire le fossoyeur de la culture par sa conférence de presse en ce 10 décembre 2020.
Le Président de la République annonçait ainsi l’allègement du confinement pour le 15 décembre, avec la réouverture des lieux de culture vivante mais en leur imposant une condition, sur laquelle ils n’ont aucun pouvoir et même qu’empirent ceux qui sont autorisés à rester ouverts : la baisse du nombre de cas positifs quotidiens détectés (à moins de 5000) et de personnes en lits de réanimation (moins de 2500 ou 3000).
Une condition injuste car elle revient à punir les théâtres et salles de cinéma pour les infections engendrées par la réouverture de la quasi-totalité des autres secteurs. Une condition également arbitraire car le chiffre d’infections quotidiennes n’est pas un indicateur cohérent : il dépend par définition du nombre de tests. Le critère pertinent est donc l’occupation des lits de réanimation : or, le Ministre de la santé Olivier Véran indique que cet objectif est tenu puisque “le nombre de malades en réanimation est passé sous la barre des 3000”. Le Premier Ministre explique que “Noël occupe une place à part”. Visiblement, la culture vivante n’occupe pas de place dans le Nouveau Monde En Marche. La décision de maintenir la culture confinée est expliquée ainsi : “Si nous nous laissons tenter par l’ouverture des salles, la situation sanitaire serait pire en janvier”, sans prendre le soin d’apporter le moindre argument pour appuyer cette affirmation péremptoire, aucun foyer épidémique n’ayant été identifié à ce stade dans les salles de spectacle (la Philharmonie vient même de publier une étude avec Dassault Systèmes démontrant que la situation épidémiologique y est comparable à un environnement ouvert et non confiné).
Le Premier Ministre justifie sa décision en arguant du fait que la réouverture des théâtres accroîtrait les risques, ce qu’aucune étude ni aucun fait ne peut étayer (au contraire). Questionné sur cette incohérence par un de nos confrères lors de cette conférence de presse, le Premier Ministre a justifié cette décision par la nécessité “d’éviter d’accroître les flux”. Comme le rappelait Laurent Brunner, Directeur de Château de Versailles Spectacles lors du premier confinement, cette gestion des flux fait partie du métier des salles de spectacle, et des solutions peuvent être trouvées pour étaler les arrivées : vues les adaptations déjà consenties par les opéras, nul doute qu’ils sauraient gérer cette problématique si le soin leur en était laissé.
De la même manière que la Ministre de la Culture brillait une fois encore par son absence à cette conférence de presse, Roselyne Bachelot aura manqué tous les rendez-vous capitaux pour le monde de la culture. Après avoir échoué à faire accepter la reconnaissance du ticket de spectacle comme un motif de dérogation pour rentrer chez soi au début du couvre-feu, elle s’est félicitée d’avoir obtenu cette dérogation (malgré l’obligation pour les spectacles de se terminer avant 21h, sans que cette contrainte n’ait le moindre effet sur la situation sanitaire) pour le déconfinement du 15 décembre. Au final, elle subit une fois encore une lourde défaite : les salles resteront fermées. Le secteur de la culture espérait qu’elle saurait utiliser son poids politique pour défendre un secteur mis à mal, mais plaçant la solidarité gouvernementale au-dessus de ses convictions, elle accepte chaque nouveau revers sans plainte ni prise de risque personnelle.
Son absence, alors que la culture est la grande perdante de ces annonces, est significative et signifiante. L’objectif annoncé du gouvernement est que les Français puissent “profiter des vacances”, comme si les précédents exemples n’avaient pas montré que le virus appréciait le relâchement généré par les congés. À l’inverse, aucune solution qui aurait permis la tenue des spectacles n’a été recherchée depuis le début de cette crise il y a neuf mois. Aucune n’a donc été trouvée, alors même que les acteurs du secteur se sont montrés force de proposition et ont prouvé leurs capacités d’adaptation.
Comme les librairies ont pu rester ouvertes pour vendre des journaux tout en étant interdites de vendre des livres en première partie de reconfinement, les opéras pourront donc rester ouverts sans avoir le droit d’accueillir du public, afin de préparer les spectacles qui seront annulés en janvier, ou les captations que l’audiovisuel public ne diffusera pas. Après bientôt un an de crise, l’absence totale de spectacle vivant aux heures de grande écoute sur France 2 et leur très faible présence sur France 3 en régions, montre l’abandon que subit la culture. Sur cet aspect au moins, la Ministre de la Culture aurait dû avoir un impact.
Le Premier Ministre a annoncé le prolongement pour cette période supplémentaire des aides financières qui sont loin de compenser les pertes et rapprochent encore un peu plus les intermittents de la fin d’une année noire. Il donne rendez-vous début janvier pour une réévaluation de ces mesures, sachant que les fêtes de Noël ne manqueront pas de produire une nouvelle tension épidémique (le Premier ministre mentionnant d’ailleurs les conséquences catastrophiques des fêtes de Thanksgiving outre-Atlantique), rendant la réouverture des théâtres bien incertaine à logique égale, même après ces trois semaines.