Culturebox - enjeux et avenirs de la Chaîne Culture TNT par sa Directrice Déléguée
Pascale Dopouridis, d’où est venue l’idée et l’envie de cette nouvelle chaîne “Culturebox” ?
Nous avons pu rapidement concrétiser ce projet car depuis le premier confinement du mois de mars 2020, nous avons mis en œuvre ce désir de soutenir les artistes, notamment via la création de programmes spécifiques avec eux et dans le respect de toutes les consignes sanitaires. Nous sommes depuis toujours restés dans cette dynamique. Cet été, nous avons continué à soutenir les festivals (en proposant par exemple Les Nuits Magiques aux Chorégies d’Orange). La Chaîne Culturebox est le prolongement naturel de cette dynamique, c’est aussi un projet auquel nous rêvions depuis toujours, c’était donc une occasion unique de la concrétiser.
Combien de temps a-t-il été nécessaire pour préparer le lancement de cette chaîne ?
Nous avons pu monter Culturebox en seulement 10 jours mais parce qu’elle s’appuie sur le travail effectué depuis plusieurs années, sur notre investissement dans le spectacle vivant, sur les liens noués avec les artistes et lieux de culture. Nous construisons les grilles semaine par semaine. Nous mesurons ainsi et pour la première fois à quel point la réactivité peut être grande et flexible sur le spectacle vivant et sa diffusion : c'est une chaîne avec une vraie dynamique. Elle est en mouvement ce qui lui permet de suivre et réagir rapidement par rapport aux projets actuels. Nous avons par exemple racheté Thaïs qui vient de faire l'événement à l’Opéra de Monaco : le temps d’acquérir ces droits et de faire la post-production, et nous la mettrons au plus vite sur la chaîne Culturebox. Les (télé-)spectateurs doivent avoir l’impression de ne pas rater trop de propositions culturelles en ces temps de fermetures.
Comment est composée la grille de Culturebox ?
Chacun doit pouvoir se sentir concerné par cette offre
La chaîne se veut très éclectique. Elle propose tous les genres du spectacle vivant : de l’opéra, du ballet classique, du hip hop, du théâtre, du symphonique, du stand up mais aussi les grands magazines culturels (nous rediffusons les émissions comme Fauteuils d'orchestre ou Le Grand échiquier), des grands spectacles tels que Musiques en Fête, Le Concert de Paris). L’ensemble du spectacle vivant doit être présent sur cette chaîne. Nous sommes également très attentifs à la visibilité de chacun, à Paris comme en régions et en outremers. La culture n’est pas seulement à Paris mais sur l’ensemble du territoire. Nous proposons une fois par semaine une programmation thématique régionale autour des opéras en région. Nous avons ainsi diffusé dès la première semaine La Dame blanche (captée à l’Opéra de Rennes le 11 décembre 2020 et diffusée le 9 février sur Culturebox), premier événement que nous avons pu programmer très vite et sans public. Nous allons également poursuivre avec des soirées à l'Opéra de Rouen, au Capitole de Toulouse, à Limoges et bien d’autres lieux. Chacun doit pouvoir se sentir concerné par cette offre.
Retrouvez chaque semaine sur Ôlyrix la grille complète de Culturebox
Quel est le modèle économique de cette chaîne, dotée de 5 millions d’euros pour 3 mois ?
Nous participons à l’économie du spectacle vivant en rachetant les droits de diffusion. Nous participons aussi à des captations, en aidant ainsi les lieux culturels à monter les spectacles en l'absence du public. Nous finançons enfin des programmes spécifiquement pour la télévision. Ce projet a le mérite extraordinaire de rassembler beaucoup d’acteurs (dans le sens général du terme) qui jusqu'à présent avaient parfois du mal à trouver leurs marques les uns par rapport aux autres, à réunir toutes les énergies. Nous essayons d’aller tous dans le même sens pour servir les amoureux du spectacle vivant et aller à la rencontre de nouveaux spectateurs. C’est ce que nous avons constaté lors du premier confinement avec les streamings. Par exemple, la coordination de France Télévisions avec l’Opéra de Paris a permis de proposer des spectacles captés à Bastille et Garnier par France Télévisions chaque semaine sur le site internet de Culturebox et celui de l’Opéra de Paris. Nous avons pu réunir une belle audience et attirer des téléspectateurs plus jeunes. Nous avons également pu développer cette offre avec le Festival d’Aix-en-Provence. Culturebox (la chaîne) nous permet de prolonger ce travail et de donner une visibilité et une exposition unique au spectacle vivant.
[Culturebox "ne dispose pas encore" des informations chiffrées concernant la répartition budgétaire entre acquisitions et productions, "tout est en train de se construire encore", ndlr]
Pourquoi la chaîne Culturebox n'a-t-elle presque aucun spectacle en direct ?
Les directs sont difficiles à mettre en place dans la grille. Nous nous positionnons sur des spectacles déjà produits ou prêts à la diffusion. Toutefois, nous faisons en sorte de réaliser et de post-produire très vite les programmes : c'est ainsi le cas pour le Concours Voix d'Outre-Mer [qui s'est déroulé à l’Amphithéâtre Bastille le 22 janvier dernier], d'autant qu'un concours n'est pas vraiment diffusable en l'état in extenso car c'est une longue soirée avec des temps morts. Nous allons donc diffuser sur Culturebox une version remontée et resserrée, puis une version augmentée sur France 5 avec des sujets permettant de découvrir et de mieux connaître les candidats. Nous ne visons donc pas les directs mais plutôt une forte réactivité tout en proposant des programmes retravaillés. Nous sommes en permanence à l’écoute du monde du spectacle vivant. Cette chaîne est caractérisée par la réactivité de nos équipes, des artistes, des producteurs et des théâtres.
Quelles sont les productions qui n'auraient pas pu se monter sans le soutien de Culturebox ?
Se Renouveler !
Nous avons essayé de travailler sur de nouveaux formats. La disponibilité des artistes et l’absence de public nous permettent de tourner différemment. C’était l’occasion de relever le défi avec de nouveaux concepts pour le spectacle vivant en ayant le souci d’aller chercher de nouveaux publics : se Renouveler ! Par exemple, nous avons travaillé avec Jean-François Zygel autour d’une émission sur Mozart (captée la semaine dernière) : "Mon Mozart à moi" avec l'Orchestre de Toulouse qui était libre. Cela faisait longtemps que je souhaitais avoir un programme autour des compositeurs et pas seulement d'une œuvre : on traversera donc l'œuvre de Mozart mais à travers le prisme de Jean-François.
Nous tournons également une soirée d'une heure avec la trompettiste Lucienne Renaudin Vary. Elle expliquera directement aux téléspectateurs le choix des œuvres, elle présentera également les musiciens qui l'accompagnent. Nous tournons aussi avec Abd al Malik, Marie Oppert [notre interview de la chanteuse, nommée parmi les Révélations Artiste Lyrique, ndlr], ainsi qu’une grande soirée jazz avec André Manoukian : autant de programmes originaux à monter très rapidement. Cette chaîne est très vivante et nous bâtissons des projets tous les jours.
Nous sommes aussi en train de tourner en version film Rusalka à l'Opéra de Limoges. À l'Opéra de Paris, nous diffuserons Faust de Gounod, et concernant le ballet, nous travaillons sur Le Parc qui a été annulé par deux fois, ainsi que Notre-Dame de Paris de Roland Petit. Nous avançons avec les théâtres au fur et à mesure, en échange permanent et avec ce souci d'équilibrer les régions et les genres.
Culturebox a été annoncée comme une chaîne éphémère jusqu'à la réouverture des lieux culturels, l'idée est-elle de l'arrêter lorsque les salles rouvriront à mi-jauge ou à pleine jauge ?
La question n'a pas encore été posée (au moins pas à mon niveau) mais la demi-jauge pose certes encore la question des possibilités d’accès de nombreux spectateurs aux événements culturels et la question du financement, précisément là où agit Culturebox.
Cette chaîne est annoncée comme éphémère, mais puisque les besoins et les investissements sont tels, pourquoi ne pas la pérenniser ?
Ce serait formidable mais il est trop tôt pour y réfléchir. Culturebox répond à une vraie problématique aujourd’hui, mais il faut aussi souhaiter que les théâtres rouvrent et nous n'aurions alors plus cette même fonction car le public retournera alors en salle. Nous cherchons à leur en (re)donner l’envie, à inciter les spectateurs à aller et retourner au théâtre, à montrer que rien ne remplace les émotions et le bonheur ressentis dans les salles de spectacle. Cette chaîne a une dynamique très vivante mais ne se positionne pas comme une alternative : nous sommes en accompagnement des salles de spectacle, et des artistes, en valorisation de leurs actions.
[Mise à jour du 17 avril 2021 : La Chaîne Culturebox perd le Canal 19 de la TNT et partagera avec France 4 le Canal 14, les programmes culturels y commenceront à 20h du 1er mai jusqu'en août]
Culturebox met en avant le spectacle sur la TNT, mais pourquoi avoir enlevé les grands spectacles en intégralité des plus grandes chaînes nationales (France 2 et France 3) ?
il ne faut rien s’interdire
Nous avons fait le choix de la complémentarité éditoriale pour chacune des chaînes. Il ne faut pas tout mélanger. Delphine Ernotte et Michel Field [respectivement PDG et Directeur Culture & Spectacle vivant de France Télévisions, ndlr] ont ramené le spectacle vivant en prime time sur France 5 car c’est la chaîne culture et éducation. Cela lui donne de la visibilité, permet aux spectateurs de repérer les rendez-vous. Nous programmons en prime time tous les vendredis soirs du spectacle vivant sur France 5. Les grands spectacles sont toujours présents sur les grandes chaînes : France 2 propose du théâtre, de grands événements comme Le Concert de Paris, Le Grand échiquier, France 3 Les Victoires de la Musique Classique ou Musiques en fête aux Chorégies d'Orange.
Mais de fait, les téléspectateurs vont vers la culture en allant sur France 5 alors que c’est la culture qui vient à eux si elle est programmée sur France 2 et France 3. Pourquoi avoir fait disparaître de France 2 et France 3 les spectacles en intégralité des Chorégies d’Orange et du Festival d’Aix-en-Provence, par exemple ?
Lorsque La Flûte enchantée en 1h30 et en français sur France 5 attire 900.000 téléspectateurs en prime time, c’est presque aussi bien qu’une émission plus généraliste comme Échappées Belles (sur France 5 également) : nous sommes donc sur la bonne voie je crois. France 3 diffuse tous les ans Musiques en fête aux Chorégies d’Orange. Ce rendez-vous qui fête son dixième anniversaire cette année est la seule émission de télévision qui a pu s’inscrire dans un grand Festival d’opéra. Musiques en fête ouvre les Chorégies d’Orange avec un direct de 3 heures.
Mais il ne s’agit pas de spectacles en intégralité, qui sont une toute autre expérience. Pour vous, le problème serait-il que des opéras en entier ne seraient pas télégéniques ?
Je pense qu’il ne faut rien s’interdire. L’été dernier nous avons diffusé une grande soirée à La Roque-d'Anthéron : il n’y a pas une seule façon de montrer le spectacle vivant, il faut en montrer toutes les facettes, toutes les écritures car chacun a sa propre sensibilité. Il faut de grandes soirées populaires, des spectacles en intégralité sur France 5 (Faust de Gounod à l’Opéra de Paris sera en direct sur Culturebox et puis retransmis sur France 5), des spectacles pour l’ensemble de la famille (ce sont d’ailleurs les maisons d’opéras elles-mêmes qui nous proposent des formats différents, comme ces spectacles familiaux d‘une heure, ces opéras en versions réduites).
Tant mieux si ces programmes existent, mais concernant la retransmission de spectacles en intégralité sur les plus grandes chaînes, les chiffres sont éloquents : Rigoletto avec Nadine Sierra et Leo Nucci, qui a été en 2017 le dernier spectacle des Chorégies retransmis pourtant à 22h25 sur France 3, avait attiré 1,51 millions de téléspectateurs et nous constatons qu’il s’agit ainsi de nombreux spectateurs nouveaux, le constatez-vous également ?
Nous savons que France 2 et France 3 attirent aussi un public un peu plus âgé alors que nous touchons davantage de jeunes et de familles sur France 5 car les parents cautionnent et préconisent la chaîne pour leurs enfants, ils ont confiance en son contenu éducatif. Nous travaillons sur la construction d'une écoute conjointe. Les vacances scolaires sont aussi pour nous l’occasion d’encourager cette écoute conjointe en proposant des programmes spécifiquement écrits pour ce public. Le 19 février prochain nous diffuserons toute une soirée avec Pierre et le loup de Prokofiev, Le Carnaval des animaux de Saint-Saëns, Les Quatre Saisons de Vivaldi conçus pour la famille. France 5 a ce potentiel, elle est encore jeune [la chaîne a été lancée en 1994, ndlr]. À l’inverse, il est loin d’être sûr qu’en diffusant La Flûte enchantée en français sur France 2 nous aurions eu 900.000 spectateurs. Nous devons être très clairs dans la stratégie de nos programmes en proposant une offre complémentaire sur l’ensemble de nos chaînes. On peut y adhérer ou pas mais elles ont leur logique, qui n’est pas seulement celle de l’audience.
Notre stratégie éditoriale se fait dans le temps, nous y croyons. Nous savons que le public ne vient pas du jour au lendemain. Nous donnons du temps au spectacle vivant, pour qu’il puisse s'installer progressivement. Pour Culturebox, il en va de même : nous ne nous interdisons rien. Il faut aussi bien se dire qu’il n’y a pas de recette toute faite, justement parce que nous travaillons sur une matière vivante.
Notre article de décryptage sur la situation avant la crise du Covid-19 : "Opéra et musique classique à la TV : ce qui passe, ce qui ne passe pas"
Culturebox a été lancée sur la TNT le 1er février, avez-vous déjà les premiers chiffres d’audience ?
Il n’y a pas de mesure d’audience sur cette chaîne [comme il n'y en avait pas pour la chaîne France Ô qui occupait précédemment ce Canal 19 de la TNT, ndlr], mais nous avons beaucoup de retours et de réactions positives. L’absence de mesures d’audience signifie aussi que, pour la première fois, nous ne sommes pas sur un système d’audimat. Nous avançons, sans la pression de l’audience, en même temps que le spectacle et c’est ce qui singularise cette chaîne. La télévision s’inscrit pour la première fois dans la dynamique du spectacle. C’est la seule chaîne qui soit aussi vivante et réactive, pour le spectacle vivant.
Quels sont les projets de France Télévisions pour la suite et la sortie de crise ?
Nous travaillons toujours sur de nouveaux projets et de nouvelles écritures qui sont très chers à Michel Field. Il faut essayer de donner un nouveau souffle au spectacle vivant : pour continuer à sortir le spectacle vivant des sentiers battus et des habitudes. L'éclectisme est une volonté très forte pour nous, sans rien abandonner : travailler sur les concepts, les écritures, le mode de filmage. La télévision doit pouvoir proposer de nouvelles lectures, aller chercher de nouveaux publics pour le spectacle vivant : s’adresser à tous. Donner envie d’aller au spectacle.
Votre stratégie de développement inclut-elle la mise en place de relations de fidélité avec des artistes qui peuvent devenir les ambassadeurs de leur discipline ?
Absolument, je suis pour ma part au service du spectacle vivant depuis 14 ans et nous avons pu nouer des relations exceptionnelles avec les artistes. Alors qu’au début, il y avait une grande méfiance entre ces mondes : la présence même des caméras, les éclairages pour la télévision gênaient les artistes. Aujourd’hui nous avançons main dans la main grâce à cette relation forte, c’est aussi cela qui permet une chaîne telle que Culturebox. Nous avons vaincu la méfiance et les artistes nous apportent désormais leurs projets pour en discuter, pour avancer ensemble. Ces échanges sont de précieux joyaux, et nous travaillons tous les jours pour entretenir ces relations qui font le lien entre artistes et monde audiovisuel. Nous savons combien ce monde artistique peut être fragile alors même qu’il est composé de personnalités exceptionnelles à la force incroyable. Nous devons les accompagner ainsi, dans la confiance, au quotidien.