Madame Butterfly par Bob Wilson à Bastille : musique et demi-teintes
À l’entrée du public, le rideau est levé sur le décor sobre et stylisé de Robert Wilson : l’espace rappelle à la fois un jardin japonais et un bord de mer, lieu indéterminé et ouvert à tous les possibles – par la mer, par la terre, par les airs même puisque l’espace « aérien » est occupé par un immense écran blanc sur lequel est projeté le jeu de lumière expressif qui portera le drame jusqu’à la mort tragique de l’héroïne.
C’est dans ce cadre que F. B. Pinkerton (Dmytro Popov) fait son entrée, de blanc vêtu, dès l’ouverture. La voix au timbre sombre voire engorgé se fait difficilement entendre durant le premier acte, excepté certains aigus projetés avec vaillance (au détriment, parfois, de la ligne de chant). La voix gagne en ampleur durant le dernier acte. Bien que dans une telle mise en scène il soit difficile de juger de l’investissement d’un artiste tant la direction est millimétrée et fixée, le ténor ukrainien semble très prudent et extérieur à son rôle. À ses côtés, dans le rôle-titre, Dinara Alieva semble fréquemment acculée aux limites de ses moyens (et ce dès son entrée – redoutable pour les interprètes du rôle). Si le timbre voluptueux ne manque pas de charme, la ligne de chant est souvent monotone et couverte par l’orchestre.
Le Sharpless de Laurent Naouri a une prestance, une allure sévère, et la voix possède une noirceur d’autant plus attrayante qu’elle correspond au personnage et à sa fonction d’oracle (il prédit l’abandon de Cio-Cio-San par Pinkerton lors de leur mariage). Cependant un vibrato large et persistant vient hacher son phrasé, troublant l’homogénéité des ensembles (notamment le trio final « Addio fiorito asil »). L’artiste est investi et souvent juste dans ses interventions néanmoins.
La Suzuki d'Ève-Maud Hubeaux est très séduisante : le timbre chaud et la voix gagnent en ampleur jusqu’au dernier acte. Le Goro de Rodolphe Briand est impliqué dans les nuances, rares dans ce rôle. Le Zio Bonzo de Robert Pomakov n’a pas le coffre de ce personnage imposant mais propose une intervention pleine de fureur de l’oncle vindicatif.
Tomasz Kumiega est un prince Yamadori sonore et orgueilleux, Chae-Wook Lim et Hyoung-Min Oh offrent au Commussario Imperiale et à l'Ufficiale del registro une musicalité remarquée dans des interventions bien souvent métronomiques. Enfin, Laura Agnoloni, Carole Colineau et Sylvie Delaunay, respectivement la mère, la tante et la cousine de Cio-Cio-San, bien qu'un peu en péril lors de leur première intervention - aussi difficile pour le chœur des femmes que pour le personnage éponyme - tirent leur épingle du jeu en donnant à la famille japonaise de l'héroïne de belles sonorités claires et unies.
Giacomo Sagripanti prend le parti d’une direction allante et expressive, quelques fois au détriment de la beauté des phrases et d’un déploiement plus romantique de l’action. Néanmoins, il sait faire ressortir la complexité orchestrale de l’œuvre, ce qui permet d'apprécier les nuances instrumentales dépeignant la dramaturgie. L’Orchestre et les Chœurs de l’Opéra national de Paris font ressortir dans cet ouvrage un plaisir sincère à jouer une partition aussi richement conçue. Grand travail effectué par le chef et les pupitres que le public salue avec enthousiasme à la fin du spectacle.