La Monnaie a du Nez pour 2022/2023
La Monnaie, comme toutes les maisons d'opéra, choisit ses programmes plusieurs saisons à l'avance, un temps d’autant plus long lorsque les reports liés à la crise sanitaire obligent à reprogrammer des œuvres ayant été prévues pour les saisons précédentes. C’est ainsi que le hasard a teinté cette saison 2022/2023 d’une riche couleur russe : c’est ce qui s’appelle avoir du Nez. La Monnaie, s'affirmant comme une "institution antiguerre et pro-paix" bâtissant des ponts entre les cultures, défend ici le maintien de ses choix passés qu'il aurait été catastrophique -sinon tout simplement impossibles- d'annuler.
La saison s'ouvrira ainsi sur La Dame de Pique de Tchaïkovski, l’année 2023 s'ouvrira sur Eugène Onéguine du même Tchaïkovski et la programmation se refermera sur Le Nez de Chostakovitch (deux compositeurs qui ont eu à souffrir du régime russe en leur temps).
Un report de deux ans peut ainsi donner lieu à d'intéressantes évolutions, comme ce sera le cas pour La Dame de Pique : le metteur en scène David Marton qui projetait originellement de placer l’opus dans un univers de perestroïka russe, travaille à une reformulation encore plus actuelle. La direction musicale sera assurée par la cheffe d’orchestre Nathalie Stutzmann pour ses débuts à La Monnaie, aux côtés d’une distribution vocale nourrie par Laurent Naouri, Jacques Imbrailo, Anne Sofie von Otter, Dmitry Golovnin.
Stéphane Degout doit -enfin- prendre Eugène Onéguine, mis en scène par Laurent Pelly et dirigé par Alain Altinoglu. Le Nez, d'après un texte de Gogol et longtemps banni du répertoire soviétique, sera mis en scène par Àlex Ollé (La Fura Dels Baus) et dirigé par Gergely Madaras, invitant notamment Scott Hendricks, Nicky Spence, Alexander Roslavets.
Le Chevalier à la Rose de Richard Strauss vient lui aussi reporté et repensé, par le metteur Damiano Michieletto qui se penche sur le temps et ses distorsions (en compagnie du Directeur musical Alain Altinoglu) : un lien avec le surréalisme servant de fil rouge pour la saison, ici chanté par Sally Matthews, Julia Kleiter, Matthew Rose, Martin Winkler, Michèle Losier, Julie Boulianne, Dietrich Henschel, Maxime Melnik.
Comme chaque année désormais, La Monnaie propose deux créations mondiales, à commencer en l'occurrence par le compositeur national reconnu à travers le monde : Philippe Boesmans avec On purge bébé, d'après la pièce de Feydeau sur la détresse d’un couple de parents face à la constipation de leur enfant. Le livret et la mise en scène seront signés par le Directeur de l'Opéra de Lyon, Richard Brunel, avec à nouveau Stéphane Degout, ainsi que Jodie Devos, Julien Behr, Sophie Pondjiclis, Jérôme Varnier sous la baguette de Bassem Akiki.
La deuxième création mondiale sera Solar - Icarus burning d’Howard Moody, "opéra écologique" traitant d'une autre actualité toujours brulante, rappelant que l'humanité, comme Icare, s'approche aveuglément du soleil et d'un embrasement de la planète (le tout en résonance avec le célèbre tableau La Chute d’Icare de Pieter Bruegel l’Ancien conservé dans les Musées Royaux des Beaux-Arts de Bruxelles). Howard Moody récemment apprécié à Strasbourg et avant cela à Aix et Bruxelles, reviendra diriger lui-même les solistes et lauréats de l'Academy, les chœurs d’enfants et de jeunes de La Monnaie (préparés par Benoît Giaux).
Même si la saison prochaine débutera sur les répétitions de Bastarda, il faudra attendre jusqu’au mois de mars pour assister au "remake" de quatre opéras de Donizetti traitant l’histoire des Tudors : Elisabetta al castello di Kenilworth, Anna Bolena, Maria Stuarda et Roberto Devereux. Cette Tétralogie (devenue un manifeste du BREXIN en réaction au BREXIT, puis finalement repoussée à nouveau) s'annonce comme une re-création, les quatre opéras étant recoupés en deux parties (For Better for worse et Till Death do us part) et ré-arrangés par le metteur en scène Olivier Fredj et le chef d’orchestre Francesco Lanzillotta (le tout davantage orienté sur un biopic de la Reine Elisabeth I) porté par les solistes habitués de la maison : Myrtò Papatanasiu et Francesca Sassu, Salome Jicia, Enea Scala, Luca Tittoto, Lenneke Ruiten, Sergey Romanovsky, Vittorio Prato.
De la fille au père, c'est ensuite Henry VIII de Camille Saint-Saëns qui sera présenté sous la direction musicale d’Alain Altinoglu et dans la mise en scène d’Olivier Py avec Ed Lyon, Lionel Lhote, Vincent Le Texier, Enguerrand de Hys, Werner van Mechelen, Jérôme Varnier, Marie-Adeline Henry, Nora Gubisch et Ludivine Gombert.
La saison de concerts fêtera les 250 ans de l'Orchestre Symphonique de la Monnaie dans une programmation majoritairement menée par leur Directeur Alain Altinoglu (jusque dans un concert Hommage à Kiev et à ses héros), invitant également Kazushi Ono et Elsa Dreisig, Sally Matthews, Sir Antonio Pappano et Ian Bostridge, Margaux de Valensart et Maxime Melnik avec le Chœur d’enfants et de jeunes de La Monnaie pour le traditionnel concert de Noël, mais aussi Till l’Espiègle for kids.
Les récitals inviteront des solistes de la saison : Stéphane Degout et Marielou Jacquard avec le pianiste Alain Planès (pour le rare cycle de Johannes Brahms Die Schöne Magelone), Werner van Mechelen et Tineke van Ingelgem avec Sylvie Decramer (pour rendre hommage aux 200 ans de César Franck), Sandrine Piau et l'Ensemble Contraste dans un programme franco-germanique, Olga Peretyatko rendant hommage à la musique de sa nation russe avec Matthias Samuil, Stéphanie d’Oustrac dans un programme empli de Folies avec l'Ensemble Amarillis.
La Monnaie de Bruxelles entend ainsi tourner les pages de crises, en se parant de couleurs vives, de fantaisie et de surréalisme (jusque dans sa communication visuelle) : brandissant la culture face aux désenchantements et au cynisme. Peter de Caluwe l’assure, il n’est pas question de verser dans le divertissement superficiel : légèreté et fantaisie ne sont pas synonymes de vacuité, elles renvoient à Dalí, Magritte, Miró, Jean Arp, à l'image d'une maison réunissant les disciplines artistiques, condamnant les agressions et refusant de provoquer une quelconque exclusion culturelle car il est essentiel de garder un regard critique, et la permanence d’un dialogue.