Lauranne Oliva : « La jeunesse, la passion et l’envie de transmettre »
Lauranne Oliva, que représente pour vous cette nomination dans la catégorie Révélation lyrique aux Victoires de la Musique Classique 2024 ?
D’abord, c’est le résultat d’un long travail. Un travail d’équipe avec des professeurs, des manageurs, des coachs, et mes proches qui font tout pour que j’avance dans cette jolie carrière. C’est un beau résultat et une formidable occasion de pouvoir chanter avec d’autres très bons artistes qui ont déjà de grandes carrières. Je vais aussi retrouver deux très bons collègues, Juliette Mey et Léo Vermot-Desroches : nous nous sommes souvent suivis pour des concours ou dans des productions (avec Léo, nous chanterons Louise de Charpentier à l’Opéra Comique). C’est enfin un bonheur de pouvoir chanter devant tant de gens, avec un super chef et un orchestre qui va donner de belles émotions et qui va nous porter par son accompagnement. Ce sera ma première expérience à la télévision : j’ai hâte !
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Où étiez-vous lorsque vous avez appris votre nomination ?
Mon agent m’a appelée alors que j’étais en vacances, ce qui ne m’arrive pas souvent. C’était très important pour moi : Alexandra Marcellier, qui était révélation l’an dernier, vient comme moi de Perpignan. Eugénie Joneau, qui a gagné l’année d’avant, est passée, comme moi, par l’Opéra Studio de l’Opéra du Rhin. Le fait de suivre le chemin de ces chanteuses me permet de penser que je ne fais pas trop d’erreurs pour l’instant.
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Qu’attendez-vous de cette cérémonie et du prix, si vous le remportez ?
J’attends surtout l’occasion de remercier mon entourage et ceux qui me soutiennent. C’est un très beau métier, mais qui est difficile. La visibilité que cela apporte est également très importante. Mais quel que soit le vainqueur, cela nous apportera beaucoup à tous.
Qu’allez-vous chanter lors de la cérémonie ? Que voulez-vous faire passer ?
Le programme est encore en cours d’organisation. Je voudrais chanter un air qui me représente : la jeunesse, la passion et l’envie de transmettre. J’aimerais donner envie à des jeunes de faire ce métier ou de venir à l’opéra. Je veux prouver que l’opéra n’est pas ringard, pas vieux ni poussiéreux. C’est un art complet et aussi intéressant qu’un film au cinéma. Ces Révélations Artiste lyrique montrent qu’il y a beaucoup de jeunes qui s’y intéressent.
Vous avez déjà remporté plusieurs concours majeurs, qui ont porté votre début de carrière : est-ce un exercice qui vous plait ?
J’adore les concours. C’est un exercice qui me donne beaucoup d’émotions et de sensations. Je ne suis pas traqueuse, mais je ressens de grandes montées d’adrénaline avant de monter sur scène. Et cette sensation est encore décuplée avant un concours. On y apprend beaucoup sur soi et on y fait beaucoup de rencontres : des chanteurs, des directeurs de maisons ou de festivals, des professeurs, des chefs, des chefs de chants et des musiciens en général. Cela permet aussi d’appliquer tout ce qu’on travaille au quotidien avec nos professeurs. C’est le moment où l’on peut montrer ce que l’on a dans le ventre et se prouver des choses à soi-même. Si je pouvais, j’en ferais toute la vie !
Les Nuits lyriques de Marmande vont ont ainsi apporté de la visibilité ainsi que la possibilité d’interpréter Zerlina dans Don Giovanni : que retenez-vous de ces deux évènements ?
J’étais très jeune : j’avais 20 ans. Il s’agissait de mon premier grand concours. Mon professeur, Christian Papis, m’a conseillé d’y aller, pour apprendre. J’ai pu y constater les retombées puisqu’on m’a proposé un rôle suite à ce concours. Et j’y ai découvert le fonctionnement du monde professionnel. Zerline était mon premier rôle entier dans un environnement professionnel (j’avais déjà chanté Susanne dans une réduction des Noces). Là aussi, j’ai beaucoup appris : Mozart est très formateur.
Vous faites partie, comme Juliette Mey et Léo Vermot-Desroches, de la promotion 2022 de Génération Opéra : qu’est-ce que cela vous a apporté ?
Ils nous ont beaucoup soutenus et nous ont apporté de la visibilité. Ils nous ont également permis de faire de beaux enregistrements au Musée Marmottan Monet, ce qui nous a permis d’avoir du matériel professionnel que nous pouvons utiliser librement pour nous faire connaître auprès des programmateurs : cela n’a pas de prix.
En début de saison, vous avez également remporté la Paris Opera Competition et la cinquième édition du Concours Voix Nouvelles : comment avez-vous vécu ces parcours, et quel impact ces prix ont-ils eu ?
J’ai été extrêmement honorée d’avoir reçu ces deux distinctions. J’ai été très touchée de recevoir le prix du public à la Paris Opera Competition car c’est pour lui que nous faisons ce métier. J’ai pu me prouver que j’étais sur la bonne route, même s’il me reste beaucoup de travail pour continuer à grandir. L’enchainement des deux concours a été rapide, et je me suis tournée juste après vers Lakmé à l’Opéra du Rhin, où je chantais le rôle d’Ellen. J’ai pu profiter de chaque moment, mais il fallait sans cesse continuer à avancer.
Vous avez passé un double baccalauréat en sciences et en littérature et histoire espagnoles : qu’en gardez-vous dans votre carrière actuelle ?
Toute ma scolarité m’a aidée dans ma construction. Toute petite, j’étais dans une école catalane unilingue, assez stricte : elle m’a beaucoup apporté dans la méthodologie, la responsabilité envers les autres, le respect de l’humain, mais aussi l’amour de la musique qui était partie intégrante de notre éducation. J’y ai beaucoup chanté. Le baccalauréat scientifique m’a apporté la rigueur, la régularité, tandis que le côté littéraire m’a éduquée à l’art et m’a offert un bagage en langues qui me sert énormément aujourd’hui.
Vous avez commencé par apprendre le piano : qu’est-ce que cela vous apporte dans votre carrière actuelle ?
Il est très efficace de pouvoir s’accompagner, de pouvoir déchiffrer. Au départ, je voulais intégrer une classe de chant, mais j’étais trop jeune (j’avais 8 ou 9 ans). On m’a expliqué que ma voix n’était pas encore mûre, ma morphologie pas encore arrêtée, et qu’il était donc dangereux d’apprendre à chanter à cet âge. On m’a donc conseillé d’intégrer le conservatoire pour apprendre la musique et un instrument en attendant d’être prête pour intégrer une classe de chant. C’est ce que j’ai fait. J’ai choisi le piano que mon papa avait pratiqué au conservatoire par passion : nous en avions déjà un qui trônait dans le salon. J’en ai fait 10 ans avec une professeure que j’ai adorée.
L’objectif de devenir chanteuse date donc de votre enfance : comment est-ce apparu ?
J’ai eu tôt l’envie de chanter, mais la volonté d’en faire mon métier a été assez tardive. La musique a toujours fait partie de ma vie : j’ai d’abord voulu apprendre la technique vocale par pure passion. Mais au départ, je voulais faire des études de médecine pour être chirurgien orthopédiste. J’avais même fait un stage en bloc opératoire. Un peu avant le bac, j’ai prononcé la fameuse phrase qui inquiète les parents : « Il faut qu’on parle ». J’avais un bon dossier et j’avais été acceptée dans de bonnes facultés de médecine, mais j’avais la conviction que si j’arrêtais le chant je m’en voudrais toute ma vie. Je ne me sentais pas capable de m’arrêter de chanter. Mes parents m’ont soutenue : tout leur allait tant que j’étais heureuse, mais à condition que j’y aille à fond.
Vous êtes l’une des rares artistes très visibles à n’avoir pas fait le Conservatoire National Supérieur de Musique et de Danse de Paris : pourquoi ?
Quand j’ai terminé mes études au Conservatoire à Rayonnement Régional de Perpignan, la question s’est posée. Il n’était pas question d’abandonner mon professeur car nous fonctionnons parfaitement ensemble. Il m’a dit que ce qui manquait à ce qu’il m’avait déjà appris, je ne le trouverais que sur scène. Grâce au concours de Marmande, j’ai rencontré Vincent Monteil, le Directeur musical de l’Opéra Studio de Strasbourg, qui m’a conseillé de tenter l’audition. J’ai finalement été retenue et j’y ai travaillé pendant deux ans, ce qui m’a permis de chanter souvent sur scène.
Vous avez ainsi rejoint l’Opéra Studio de l’Opéra du Rhin en 2021 : qu’y avez-vous appris ?
J’y ai appris beaucoup sur moi, sur ce que je suis capable de chanter et sur mon endurance. Nous avions des projets organisés pour des scolaires, avec beaucoup de représentations. La première année, nous avons fait L'Enfant et les Sortilèges, avec deux représentations scolaires par jour, et 40 au total : un rythme effréné. Cela forge aussi un fort esprit d’équipe. C’est un peu l’école militaire : on se lève tôt et on ne compte pas ses heures, mais c’est extrêmement formateur. La seconde année, j’ai pu participer à la programmation principale puisque j’ai interprété Drusilla dans Le Couronnement de Poppée, avec Raphaël Pichon et son ensemble Pygmalion, ainsi que des chanteurs aguerris, qui font de belles carrières, ce qui est également très instructif.
Quelles portes cela vous a-t-il ouvert ?
Ils organisent des masterclass avec des chanteurs et des chefs de chant qui nous écoutent, ainsi que des auditions avec des directions de maisons d’opéra ou de festivals. Cela aide à construire la suite.
Une autre rencontre importante est celle d’Emiliano Gonzalez Toro : comment cela s’est-il fait et qu’est-ce que cela vous a apporté ?
C’est l’une des plus belles rencontres de ma vie. Il m’a entendue au concours de Marmande (décidément !) et m’a contactée pour me proposer de travailler avec lui. À ce moment-là, je ne connaissais absolument pas le style baroque. Je voulais découvrir cette musique et je me suis lancée. J’ai énormément appris. La particularité de l’ensemble I Gemelli, c’est qu’il n’y a pas de chef : les chanteurs doivent diriger le continuo, ce qui est rare et apprend le rythme et la respiration (de l’instrumentiste et du chanteur).
Percevez-vous le répertoire baroque comme un axe de développement pour votre carrière ?
Je ne voudrais pas faire que ça, mais aujourd’hui, un chanteur doit être capable de tout chanter dans les limites de sa voix et de son corps. Il faut toucher à tout, apprendre de tout, s’intéresser à tous les styles, car tout est lié. J’aime beaucoup la musique ancienne. C’est un style qui met en lumière le texte, à l’opposé du bel canto qui met la musique en avant. On apprend donc à déclamer ce qui est utile dans tous les styles.
Comment définiriez-vous votre répertoire de prédilection ?
J’aime beaucoup les compositeurs italiens. Le bel canto et l’opera seria m’attirent énormément. Mon premier choc musical est la Tosca. Cette musique, ce style de voix très lyrique, m’ont toujours impressionnée. Cela provoque des émotions incroyables. Durant ma première Tosca, chantée par Sonya Yoncheva, j’ai pleuré du début à la fin. J’aimerais beaucoup aborder un jour cette musique. Il faudra faire les bons choix et voir où ma voix me mènera. Il ne faut en tout cas pas brûler les étapes.
Comment avez-vous rencontré votre agent, et qu’est-ce que cette rencontre a changé ?
Je l’ai rencontrée par le biais d’Emiliano Gonzalez Toro, à l’occasion d’une production du Retour d’Ulysse. Nous avons discuté et avons décidé de faire un bout de chemin ensemble. L’agence protège le chanteur, notamment en prenant en charge les discussions avec les programmateurs, et facilite les interactions avec les maisons et les festivals. Elle apporte également un soutien sur les aspects administratifs. Je m’entends bien avec mon agent, ce qui est très important.
Vous venez d’interpréter Pamina dans une version participative de La Flûte enchantée : qu’en retenez-vous ?
L’opéra, malgré ce qui en est dit, ne désintéresse pas les gens et encore moins les enfants. Nous avons reçu 15.000 personnes en deux semaines et demie de représentations. Je n’ai jamais vécu une telle intensité de réaction. Il n’est pas toujours facile de travailler dans le bruit, dans les rires, dans les cris, mais il est très satisfaisant de faire plaisir à des enfants qui peut-être plus tard, s’en souviendront et iront écouter une version complète de la Flûte, puis d’autres opéras ensuite. Je prends très à cœur ce rôle de transmission : je ne suis pas si éloignée de cet âge. Je trouve important de participer à l’éducation musicale de ces enfants. L’opéra fait partie de notre patrimoine depuis des siècles et cela doit continuer. Chaque fois que je joue devant des enfants, c’est magique. J’aime ce naturel et cet émerveillement.
Quels sont vos projets futurs ?
Je pars dans quelques jours à Vienne pour chanter Lipi dans Kublai Khan de Salieri sous la direction de Christophe Rousset, que je rencontrerai à cette occasion. Ce sera une création de la version italienne de cette œuvre qui n’a jamais été jouée du vivant du compositeur et n’a été donnée qu’une seule fois depuis, dans une traduction allemande. Il y aura en plus un enregistrement à la clé. C’est un travail de construction, à la fois scénique et musical, passionnant. En mai, nous chanterons donc avec Léo Vermot-Desroches une adaptation de Louise de Charpentier à l’Opéra Comique. Ensuite, je poursuivrai la tournée de La Petite Flûte à Bordeaux et à Reims, puis j’aurai des récitals. Je chanterai aussi le Stabat mater de Pergolèse au Festival de Froville. En fin d’année, j’interprèterai Dalinda dans Ariodante de Haendel à l’Opéra du Rhin.