Eugénie Joneau, nommée aux Victoires de la Musique Classique : "transmettre un message d'espoir"
Eugénie Joneau, vous êtes nommée dans la catégorie Révélation lyrique aux Victoires de la Musique Classique 2022. Comment avez-vous appris la nouvelle ?
Mon agent m'a contactée, j'ai ressenti une excitation folle, j'ai relu plusieurs fois le message pour réaliser que, oui, il s'agit bien de moi. J'ai alors réfléchi à tout ce qui allait arriver et ressenti un peu de pression : c'est normal, il en faut ! Cela annonce une accélération pour 2022. Au-delà de l'encouragement par la profession qui est déjà un signal énorme, cette nomination apporte de la visibilité, ce qui est notamment important en début de carrière, c'est un beau tremplin.
Quel message avez-vous envie de transmettre au public ?
La musique est un partage
Je voudrais surtout transmettre un message d'espoir. La musique est un partage, avec le public et cela ne fait pas de mal au vu de la période actuelle : cela rappelle qu'il faut croire en ses rêves, notamment en cette période où la jeunesse a énormément souffert. Il ne faut jamais lâcher.
Est-ce que vous regardez vous-même en spectatrice les cérémonies de ce genre ?
J'aime beaucoup cette soirée et découvrir notamment les révélations, les nouvelles personnalités. Et bien sûr les interprètes "confirmés" sont toujours source d'enseignement.
Comment vous préparez-vous à cet événement ?
C'est un peu la même préparation que pour un concert et il y a aussi des répétitions qui sont faites pour nous tranquilliser : il faut réfléchir au programme pour qu'il me ressemble, qu'il me permette de montrer les différentes facettes de ma voix et de ma personnalité. Je voudrais en montrer la dimension, mais aussi son dynamisme, et puis un côté aussi plus intimiste (de l'opéra, du swing et de la mélodie en somme).
Connaissez-vous vos deux concurrentes, Sarah Aristidou et Marie-Andrée Bouchard-Lesieur ?
Je ne connais pas (encore) Sarah mais avec Marie-Andrée nous nous croisons depuis un moment déjà, nous avons des parcours similaires et nous étions finalistes d'un même concours de chant à Rome. C'est toujours plaisant de se retrouver ainsi, comme cela peut être le cas sur des productions, ça aide aussi à moins stresser.
Une fois encore, trois femmes sont nommées dans la catégorie Révélation Lyrique, y voyez-vous un message ?
Comme il y a un système de vote et qu'il y avait aussi des hommes parmi les pré-nommés, je n'y vois pas de message particulier.
Quelle est l'expérience et quel est le vécu d'une jeune femme dans le monde lyrique d'aujourd'hui ?
À mon humble niveau, je n'ai pas ressenti de pression. Après, on ne va pas se mentir et des articles ont été publiés à ce sujet : le physique joue, et il y a une pression sur ce point. Je pense aussi que les metteurs en scène ont davantage de pouvoir qu'auparavant, mais le chef aussi a son ascendant et tout est question de trouver des équilibres.
Revenons sur votre parcours : quels ont été vos premiers contacts avec l'opéra ?
J'avais 8 ans, c'était l'Air de la Reine de la Nuit que je chantais par-dessus un enregistrement de Patricia Petibon (j'ai donc un peu mué depuis). Ma mère était très étonnée, elle a continué à me faire écouter beaucoup d'opéra (je regardais une cassette vidéo de Carmen en boucle, je chantais tout le temps l'Habanera). Denise Dupleix (soprano de l'époque de Régine Crespin) qui était une amie de mes grands-parents m'a donné un mini cours de chant sur l'Habanera et a incité mes parents à ce qu'on me donne des cours de chant. Dans une amusante boucle bouclée récemment, j'ai d'ailleurs enregistré l'Habanera confinée. Pendant le confinement j'ai ainsi fait quelques vidéos pour m'amuser. Nous avons aussi été très soutenus par le Studio de Strasbourg qui a posté ces vidéos sur leurs pages !
Je vais toutefois attendre un peu pour Carmen (rires). D'autant que les Carmen d'aujourd'hui creusent des visions sombres : Anita Rachvelishvili, même Elīna Garanča. Et il me faut encore du temps pour déployer la vocalité, la corporalité et la théâtralité. C'est important de laisser mûrir de tels rôles, ce sont des monstres, des tubes.
Quels ont été vos débuts sur scène ?
Je chantais de la variété avant de commencer l'opéra. Ma première fois sur scène était donc pour un concours de chant, je devais avoir 14 ans. J'ai interprété S'il suffisait d'aimer de Céline Dion devant une place publique pleine de monde, c'était impressionnant et très sympathique. Mes débuts sur une scène d'opéra ont ensuite été avec Rusalka à l'Opéra National du Rhin et je me souviens de la première fois où j'ai vu une salle pleine, en levant la tête lorsque les lumières se sont rallumées !
Quel est le plus important conseil qu'on vous ait donné ?
Le conseil qui m'a vraiment suivie est celui d'être bienveillant avec soi-même et qu'il faut faire avec l'instant donné : un concert sera différent le lendemain, il faut faire avec et s'adapter en s'appuyant sur tout ce qu'on peut donner à un moment donné.
Que vous ont apporté les différents concours auxquels vous avez participé, et notamment votre 1er prix du Concours de chant de Mâcon, ainsi que le 1er prix Révélations du 6ème Concours Jeunes Espoirs d'Avignon ?
Les concours de chant sont des exercices très compliqués, et subjectifs : même pour départager deux voix qui chanteraient exactement la même chose, c'est complexe : ce ne sont jamais les mêmes timbres, les mêmes voix. Par contre, les concours apportent beaucoup de visibilité et des conseils de professionnels.
Le concours de Mâcon était le premier auquel je participais, c'était même la première fois que je chantais avec orchestre. Avignon est mon opéra de cœur, j'étais donc extrêmement fière. Juste au moment où j'avais le niveau pour m'y inscrire, l'opéra historique a fermé pour travaux alors j'ai attendu la réouverture, qu'il soit flambant neuf, c'était en 2021 et j'ai gagné justement sur cette scène, là où j'ai vu pour la première fois l'opéra en vrai (c'était La Bohème), là où j'ai su que c'était ma vocation.
C'est mon opéra de cœur, car je suis née à Arles, j'ai grandi jusqu'à 20 ans à Saint-Rémy-de-Provence, j'étais donc dès que possible à Avignon pour les opéras, aussi pour y voir Julie Fuchs dans un de ses premiers récitals, elle était déjà incroyable. Je suis ensuite allée étudier au Conservatoire à Lyon et je suis entrée au Studio à Strasbourg.
Qu'est-ce qui vous a donné envie et décidée à candidater pour ce Studio ?
Mon professeur de chant me l'a suggéré car cela apporte beaucoup d'expérience. J'ai rejoint la dernière promotion d'Eva Kleinitz. J'ai auditionné devant elle, mais quand j'ai fait ma rentrée elle nous avait hélas déjà quittés.
Bertrand Rossi a pris la direction et nous parlions très souvent d'Eva Kleinitz, toute la maison en parlait, elle était toujours présente par son esprit.
Que vous a apporté votre parcours au Studio de l'Opéra National du Rhin ?
Les Académies permettent d'être encore protégé et aussi d'être sur scène : c'est très précieux d'avoir cette expérience qui ne s'apprend pas à l'école. Le Studio donne l'expérience d'une troupe, mais avec en plus des master-classes, un coaching, une formation. C'est très intéressant, notamment avec Vincent Monteil : il a été un directeur du studio absolument formidable, il a pris soin de ses chanteurs et nous a toujours encouragés. Il fut pendant ces deux années un véritable mentor pour nous.
Au tout début du Studio nous avons eu une master-classe avec Jane Thorner qui nous a aussi donné des conseils pour nous présenter sur des auditions, pour ne paraître ni prétentieux ni timide, cela m'aide aussi désormais pour auditionner, bouger, me montrer.
Le Studio m'a apporté ma première expérience sur une scène d'opéra : c'était pour Rusalka mis en scène par Nicola Raab et dirigé par Antony Hermus où j'incarnais la troisième nymphe. C'était presque un choc car nous n'étions pas statiques, nous avions un rôle (et la metteuse en scène se nourrissait beaucoup de qui nous étions et de ce que nous proposions). Cela permettait de penser à plein de choses et c'était très excitant, d'autant que le chef a emporté l'orchestre vers des sommets.
Ma première année de Studio a vite été bouleversée par le Covid, mais j'ai pu aussi participer à L'Heure espagnole en partenariat avec la Comédie de Colmar (où le Studio est basé), dans une mise en scène de Nathalie Béasse, metteuse en scène de théâtre qui signait son premier opéra. Son rapport au corps était très théâtral, très intéressant et une grande source d'enseignement.
Vous avez participé au spectacle pour enfants Marlène Baleine, que transmettait-il ?
C'était un chouette projet car on parle beaucoup désormais de grossophobie et la morale de ce projet rappelle combien ce regard sur les autres est à résoudre. Nous avions l'impression d'être une petite troupe, avec trois membres du studio, avec les musiciennes sur scène et le danseur.
Nous l'avons interprété devant plus de 10.000 enfants ! avec 24 représentations en un mois et demi (un sacré rythme !)
Quels sont les autres apports d'un tel studio, notamment en terme de formations ?
Le Studio apporte beaucoup de projets, de rencontres, de formation. Nous avons fait des master-classes, notamment une entre opéra et théâtre avec Myriam Marzouki. Nous avons monté de petites formes d'une demi-heure à deux chanteurs et une comédienne avec pour but de pouvoir aller les jouer partout (aussi bien pour King Kong Théorie de Virginie Despentes que Le Misanthrope de Molière, avec du Mozart). Le thème de cette petite forme était : l'héroïne d'opéra doit-elle toujours mourir dans la dernière scène ?
Nous avons aussi travaillé une création d'Howard Moody, Les Rêveurs de la lune. C'était un partenariat auquel participent de nombreux collèges et tous les enfants, y compris une classe d'enfants malentendants. Nous avons eu une répétition avec tous les enfants ensemble. C'était une grande émotion, un moment suspendu. Les enfants mal-entendants ont posé leurs mains pour sentir les vibrations, nous avons tous chanté, avec eux également. C'était bouleversant.
Vous avez également rejoint la compagnie lyrique Opera Fuoco, en quoi consiste-t-elle ?
Opera Fuoco permet de mettre en lumière de jeunes chanteurs, avec aussi beaucoup de master-classes (la prochaine sera autour de Verdi). Ce n'est pas une troupe mais presque. J'ai travaillé avec David Stern qui dirige Opera Fuoco et c'était un coaching très intéressant, empli de savoir.
Vous êtes membre d'Unisson, quelle est votre implication dans cette association de chanteurs lyriques ?
J'ai participé au concert Solidaire qui a eu lieu en octobre. Je trouve incroyable le fait qu'une telle structure n'existait pas auparavant. Ils ont un rôle indispensable d'accompagnement, d'information, de questionnement et de revendications pour faire bouger les lignes.
C'est hyper-important de savoir qu'une profession s'est réunie pour vous protéger en tant qu'employée comme c'est le cas dans les autres professions avec des syndicats.
Quels sont vos prochains projets ?
Je vais plonger dans Jenufa de Janáček au Grand Théâtre de Genève, avec le rôle de Karolka la fille du maire, nous commençons en mars pour des représentations en mai.
Je vais aussi donner un récital au Festival de Radio France à Montpellier cet été et je dois notamment revenir à Strasbourg dans les saisons à venir.
Les types de rôles que je pourrais prendre à l'avenir sont ceux de Charlotte, ou dans beaucoup plus longtemps Eboli. Ma voix mène à Verdi, j'aimerais aussi beaucoup incarner le rôle du Compositeur dans Ariane à Naxos de Strauss.
Retrouvez sur Ôlyrix nos interviews des deux autres nommées dans la Catégorie Révélation Artiste Lyrique 2022
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