Alexandra Marcellier, nommée aux Victoires de la Musique Classique : "Butterfly a sans doute été mon ticket en or"
Alexandra Marcellier, comment avez-vous appris votre nomination dans la Catégorie Révélation Artiste Lyrique aux Victoires de la Musique Classique 2023 ?
C’était génial que cela tombe à ce moment car nous rentrions tristes et comme bredouilles juste pour la fin de la tournée de La Clémence de Titus avec Cecilia Bartoli : nous étions dans le bus, j’étais ravie car je me remettais enfin d’une intoxication alimentaire. Après Paris, Liège, Luxembourg, nous avons chanté à Hambourg, Munich et devions finir en beauté à Prague. Nous étions tous dans le bus et finalement nous ne sommes pas partis car Cecilia a malheureusement dû annuler. Chacun est rentré chez soi.
L’annonce de ma nomination aux Victoires a comme effacé ce coup de cafard. Cela n’ôte bien entendu rien à cette expérience exceptionnelle qu’a été cette Clémence : c’est comme un bond de cinq années d’expérience, grâce au travail effectué, mais aussi étant donné combien une telle production nous rappelle les limites de notre corps, la fragilité de l’instrument.

Comment voulez-vous vous présenter au public ?
Je voudrais me présenter avec simplicité : chanteur ou plombier, nous fournissons le même service, d’aide à la personne en nous appuyant sur tout notre travail (autant de travail qu’un médecin, sans dimension surnaturelle ou paranormale mais en s’appuyant sur une prédisposition pour nourrir son envie). Je fais ce métier avec le cœur, sans l’idéaliser.
Je voudrais aussi dire combien je suis contente et fière d’être nommée pour ce que cela dit au-delà de ma personne, sur le monde lyrique. Je n’ai aucun réseau, je ne viens pas même du CNSM et le fait que le mérite soit donc reconnu me semble un très bon signal, pour les plus jeunes artistes en devenir.
À Lire également : 3 questions à Alexandra Marcellier sur Classique mais pas has been
Connaissez-vous les autres artistes nommés cette année aux Victoires de la Musique Classique ?
Je connais les nommés de nom bien entendu mais j’en connais certains davantage. Je connais Marine Chagnon car elle est à l’Académie de l’Opéra de Paris, mais à l’occasion des nominations nous avons déjà eu l’occasion d’échanger : elle est adorable, et dans une forme de simplicité, d’humilité qui me plaît beaucoup.
J’ai joué en tant que violoniste avec Bertrand Chamayou, quand j'étais à l'Orchestre de Perpignan à l’âge de 15-16 ans. De fait, en tant que violoniste j’adore Nemanja Radulović. J’ai également eu l’occasion de participer à l’émission Fauteuils d'orchestre avec la cheffe Lucie Leguay. J’ai chanté La Clemenza avec Lea Desandre et ce fut une découverte humaine et artistique, je la porte très chèrement dans mon cœur. J’ai aussi rencontré Marina Viotti qui est adorable.
Quels sont vos premiers souvenirs d’émotion musicale ?
Ce sont d’abord les grands violonistes qui m’ont toujours passionnée : Janine Jansen et Jascha Heifetz notamment. J’avais découvert l’instrument dans un atelier en maternelle. Ma mère m’a toujours soutenue, m’a emmenée chez un luthier à Perpignan, m’a inscrite en cours de violon.
Et puis, pour le chant, ce fut Cecilia Bartoli : à 15-16 ans, alors que j’étais scotchée sur MSN, ma mère me force un jour à venir regarder une chanteuse qui passait chez Ève Ruggieri, c’était Cecilia Bartoli. Comme ma mère aimait, je faisais semblant de ne pas aimer mais dès qu’elle est partie au travail le lendemain, ayant mémorisé le nom de Cecilia, j’ai fait une recherche sur internet et je suis restée scotchée depuis. Cela m’a donné une volonté plus forte que tout, plus forte que ma timidité maladive (littéralement, j’en ai beaucoup souffert physiquement).
Heureusement, nous avons des voix très aisées dans la famille (je n’ai pas eu à travailler le lyrisme, mais il faut bien sûr travailler la technique, la soufflerie). J’ai commencé au conservatoire de Perpignan, et puis j’ai écrit à Françoise Pollet via Facebook. J’étais trop jeune pour un CNSM mais elle m’a conseillé une professeure incroyable à Bordeaux : Maryse Castets. J’ai eu le coup de foudre, j’ai passé trois heures avec elle au téléphone. Et c’était le début d’une grande histoire. Elle m’a appris la stabilité, la persévérance, et par-dessus tout la discipline d’un travail rigoureux et quotidien (pas seulement le chant mais aussi le corps, le travail de respiration, le sport et notamment pour le cardio). Une discipline rigoureuse, mais toujours avec humanité, avec amour : car nous sommes des êtres humains, nous sommes des femmes, nos corps changent (et il est important de savoir quand laisser reposer l’appareil pour travailler d’autres choses).
Même quand je vendais des glaces artisanales à Collioure l’été (en dégustant entre deux ma préférée, menthe-chocolat), je réfléchissais au souffle, et en revenant à la rentrée j’avais fait des bonds de progression. Mon patron d’alors est d’ailleurs fier de ma carrière.
Sophie de Ségur, meilleure amie de Maryse et qui s’occupe de L’Instant Lyrique est également un fort soutien pour moi. D’ailleurs, nous chanterons avec Marie-Andrée Bouchard-Lesieur et Antoine Palloc dans un Instant Lyrique le 6 mars à l’Opéra Comique.
Quelles sont les personnalités musicales qui vous ont également guidée dans votre carrière ?
Béatrice Uria-Monzon est ma bonne fée, comme dans Cendrillon. Du jour où je l’ai rencontrée, elle a fait basculer ma vie. J’étais dans un état de dépression, et ma colocataire (Marie-Andrée Bouchard-Lesieur, nommée aux Victoires de la Musique Classique l’année dernière dans cette même catégorie Révélation Artiste Lyrique) m’a mise dans un train pour Agen, où Béatrice Uria-Monzon faisait une audition/master-classe avec Antoine Palloc pour Carmen. J’ai chanté Micaëla et un air de Robert le Diable (qui n’était pas du tout pour moi mais c’est passé avec ma voix alors plus légère). Depuis, Béatrice Uria-Monzon ne m’a plus quittée.
J’ai aussi une merveilleuse histoire d’amour avec Silvana Bazzoni Bartoli (la mère de Cecilia), qui est également ma professeure : j’ai notamment participé à ses master-classes du Gstaad Menuhin Festival trois années de suite. Quand je suis allée la voir, je voulais mettre un point d’honneur sur le souffle car je voulais faire du bel canto mais je ne tenais pas encore la ligne (j’avais les muscles et les réflexes pour les passages plus dynamiques).
J’étais même allée voir un kiné respiratoire pour muscler mon diaphragme, mais je voulais l’entendre d’une chanteuse. Je suis allée travailler avec elle en Suisse, elle m’a montré les dimensions que peut atteindre le souffle, c’est impressionnant et j’ai énormément appris sur ce plan. Cela demande du travail mais aussi de la patience, de la persévérance. Elle m’a aussi beaucoup appris sur l’utilisation de la mâchoire (en mettant un bâton entre les dents, pour à la fois détendre et muscler), le tout dans un cadre naturel idyllique.
J’y chantais Juliette et un jour Silvana me dit que je ne suis pas une soprano légère mais lyrique, elle me fait donc essayer Manon Lescaut, je la chante devant un public, en larmes (et je sentais ce style tout en fluidité). J’ai pu ensuite continuer avec La Rondine (Puccini toujours mais moins lourd que Manon Lescaut). En acceptant alors que j’étais “jeune lyrique”, en assumant cette richesse même oxymore, j’ai pu m’engager dans mon répertoire mais c’est aussi ce qui m’a mis dans un sas pour beaucoup de gens.
Quel a été votre premier engagement professionnel ?
C’était le Stabat mater de Rossini en 2018 à Bordeaux [retrouvez-en notre compte-rendu], une belle expérience avec un chef de chœur impressionnant et qui s’intéresse aux voix du Conservatoire : Salvatore Caputo. La pièce m’intéressait vocalement, j’étais encore un peu jeune mais j’ai fait avec mes moyens et c’est très bien passé.
C’est après Bordeaux (et mon prix de chant à Osaka) que j’ai fait mes débuts à Perpignan à la Cathédrale (en Gabriel pour La Création de Haydn), une chouette occasion de revenir à la case départ mais en tant que soliste, avec l’Orchestre dans lequel je jouais jeune, avec mon chef d’orchestre d’alors, Daniel Tosi.
Votre première expérience mise en scène fut en 2021, la Première Nymphe pour Rusalka de Dvorak captée à l'Opéra de Limoges. Comment avez-vous vécu cette expérience ?
C'était une expérience intense : nous étions en couvre-feu, tout était fermé, je me suis cassé une côte et fait une déchirure musculaire (j'ai chanté sous morphine, tout en faisant les acrobaties scéniques dans cette production de Nicola Raab). Mais à part cela, tout était génial : les collègues, la direction de Pavel Baleff. J'en garde de très bons souvenirs même si malheureusement nous n’avons pas pu jouer devant du public.
Comment avez-vous traversé la période de Covid ?
Mal. C’est le moment où j’allais pouvoir obtenir mon statut d’intermittente du spectacle (de fait je ne l’ai pas eu donc je n’ai pas eu droit à l’année blanche, j’ai dû vivre sur mes économies). D’un coup, plus d’engagement, plus de concert, j’étais confinée à la montagne, mon chien est mort.
Mais j’ai continué à travailler comme quelqu’un isolé sur une île déserte ou enfermé en prison et qui continue son entraînement, au cas où, pour quand il pourra sortir.
Après le Covid, il fallait que cela reprenne, mais c’était extrêmement difficile, j’envoyais des vidéos de mon travail à mes professeures, Béatrice Uria-Monzon ne comprenait pas qu’on ne me confie pas d’engagement alors elle s’est mobilisée pour m’obtenir une audition à Saint-Etienne (pour Butterfly vers laquelle ma voix a en fait évolué pendant le Covid : je n’aurais pas cru faire ce rôle à 27 ans). J’avais barré ce rôle de mes recueils, mais ma voix a en fait mûri (tout en gardant mes aigus de soprano légère dans les vocalises).
En fait, j’ai sans doute aussi décroché ce rôle parce que je n’attendais plus rien, après une période si dure, après tant de désappointements.
Et Butterfly a sans doute été mon ticket en or, pour la nomination aux Victoires de la Musique Classique aussi. Ce fut un grand coup de projecteur, à Saint-Etienne et validé avec Monaco ensuite. C’est d’autant plus précieux que Butterfly est venue alors que je n’avais pas d’engagement, j’étais comme coincée dans un sas, entre ma jeunesse et ma voix déjà lyrique. Tout le monde me disait de ne pas m’inquiéter, personne ne s’inquiétait pour ma carrière mais de fait on ne me donnait pas les prix, pour “encourager” plutôt d’autres artistes qui en avaient “besoin”.
Grâce à cette Butterfly à l’Opéra de Saint-Etienne, vous avez en effet été appelée pour remplacer au pied levé Aleksandra Kurzak dans ce rôle à Monte-Carlo, quel souvenir en gardez-vous ?
J’en retiens un moment de folie. La première chose que j’ai faite c’est d’appeler immédiatement Marie-Andrée. J’étais tellement sous le choc que je n’arrivais pas à faire ma valise, elle me disait au téléphone quoi mettre, tout en réservant pour moi mon billet d’avion. Je suis allée poser ma voiture dans son parking. Plus tard, en passant les contrôles aériens, je reçois un appel m’informant qu’Aleksandra pourrait finalement peut-être chanter, mais ils me demandaient de venir néanmoins. En arrivant, la metteuse en scène me booste d’énergie et me fait tout de suite travailler. Finalement Aleksandra Kurzak confirme qu’elle ne pourra pas chanter. Le chef d’orchestre Giampaolo Bisanti (avec qui nous avons été en symbiose musicale) a voulu faire un raccord avec le ténor vingt minutes avant le spectacle. L’expérience a été magique, surréaliste : l’équipe me tenait littéralement la main jusqu’à ce que j’entre en scène, la metteuse en scène me guidait encore en soufflant depuis la coulisse au troisième acte.
Qu’est-ce que ce remplacement très en vue vous a apporté ?
J’ai reçu des critiques assez unanimes, des messages d’amis choqués de bonheur pour moi encore plusieurs jours après. Et grâce à cela, on m’a offert de nombreux rôles sans même auditionner (je n’ai en fait plus auditionné depuis). J’ai même eu “carte blanche” de la part de maisons lyriques françaises qui m’ont demandé quel rôle je voulais faire les saisons prochaines.
L’année dernière vous avez élargi votre expérience à l'international avec La Voix humaine à l’Auditorium de Milan dans une mise en espace de Louise Brun-Bertin et sous la direction de Giuseppe Grazioli. Comment s’est passé le travail avec ce maestro, qui est Chef principal de l'Opéra de Saint-Etienne ?
Il est incroyable, c’est un grand musicien, très précis. Il aime les musiciens qui sont sûrs de leur travail mais il est alors très patient.
Durant cette saison 2022/2023, vous prenez trois rôles (qui marquent aussi trois débuts dans trois opéras) : Micaëla à Marseille puis Orange, Alice Ford à Nice et Blanche de la Force à Liège. Comment vous y préparez-vous ?
J’ai déjà chanté l’air de Micaëla plusieurs fois. C’est un rôle tout de même difficile car elle est à la fois attendue, vient et revient dans l'œuvre mais offre peu de temps et d’occasions pour la faire évoluer. Les Chorégies marqueront pour moi des retrouvailles avec Marie-Nicole Lemieux, une artiste et une personne que j’adore : elle a le feu sacré. Un jour, je devais aller la voir au Québec, mais je n’ai hélas pas pu venir le jour de son récital. Une amie a réussi à trouver le numéro de sa professeure, qui nous a donné le numéro de Marie-Nicole, que j’ai appelée en larmes (parce que je l’avais ratée), et elle m’a invitée à venir boire un café dans son village ! Et quant au fait de chanter dans un lieu tel que le Théâtre Antique, et bien là comme ailleurs je fais avec ce que j’ai. Si je veux que ma voix dure, je ne la travestis pas. Je chante avec ma voix indépendamment du lieu, et comme le dit Marie-Andrée Bouchard-Lesieur en citant Ludovic Tézier : “avec quelle voix veux-tu que je chante, autre que la mienne ?”. Et puis j’ai pu me familiariser avec le lieu, même si c’était une expérience complètement différente, à l’occasion de Musiques en fête. C’était pour moi hallucinant, de chanter devant le mur de ce théâtre antique, face à ce mur humain, avec la pression du direct, pour un public qui s’attend à voir quel est ce “phénomène” qui a surgi avec Butterfly…
Pour ce qui concerne le rôle d’Alice, j’en suis déjà fan. Il est moins purement vocal que Butterfly mais cet opéra est une perfection musicale, un bonheur de théâtre. Je trépigne, même si je ne travaille pas les rôles si longtemps que cela en amont : six mois. Je compte sur ce temps aussi pour me plonger dans le rôle de Blanche, pour m’y vouer comme j’en avais envie en regardant Annick Massis et en chantant les mélodies de Poulenc.
Quels sont les prochains rôles que vous souhaitez aborder ?
J'ai déjà la chance d'avoir eu des rôles passionnants et que j’adore, mais j'aimerais beaucoup incarner Mimi, Fiordiligi, une Clemenza : ce sont des rôles faciles en voix. L’Elettra d’Idoménée aussi pour poursuivre dans Mozart. Il faut chanter Puccini comme du Mozart, avec une rigueur technique très compatible même si les effets sont plus libres.
Retrouvez également nos interviews des deux autres artistes nommés dans la Catégorie Révélation Lyrique aux Victoires de la Musique Classique 2023 :
Marine Chagnon : "Chaque rôle est un premier rôle"
Edwin Fardini : "se créer des interstices où (se) créer soi-même"