"Année blanche pour les intermittents" : décryptage
L'inquiétude durant ces 2 mois et 20 jours passés à attendre était très vive dans le monde de la culture, tant cette annonce paraissait forte : "cette fameuse année blanche", comme la qualifiait lui-même Emmanuel Macron, aurait signifié une prise en charge des techniciens et artistes intermittents du spectacle jusqu'au mois d'août 2021.
Pourtant sur le ton du “Trop beau pour être vrai”, observateurs et acteurs du monde de la culture restaient très sceptiques quant à cette annonce. Les deux seuls éléments factuels, chiffrés et annoncés, ne semblaient en effet pas correspondre : le gouvernement, par la voix de ses Ministres de la Culture successifs Franck Riester puis Roselyne Bachelot avait annoncé que le plan d'aide pour les intermittents serait de 950 millions d'euros. Or, l’intermittence génère 2,4 milliards d’euros de masse salariale. Elle concerne 272.000 salariés, mais seulement 117.000 peuvent déclarer suffisamment d’engagements pour obtenir le fameux sésame : le statut d’intermittent du spectacle qui donne droit à une allocation journalière proportionnelle aux revenus comprise entre 31,36 € et 133,27 €.
À la lecture du Journal Officiel paru ce 26 juillet 2020, l'AFP s'est empressée de rédiger un texte expliquant que l'année blanche était définitivement actée, ce qu'une fois encore les médias nationaux se sont empressés de copier-coller. Pourtant, ce n'est pas ce que dit le texte officiel publié, en l'occurrence l'"Arrêté du 22 juillet 2020 portant mesures d'urgence en matière de revenus de remplacement mentionnés à l'article L. 5421-2 du code du travail" paru au Journal Officiel n°0182 du 26 juillet 2020 :
"Bénéficient de la prolongation de la durée des droits (...) 2° les artistes et techniciens intermittents du spectacle mentionnés à l'article L. 5424-22 du code du travail (concernant les intermittents, ndlr) qui épuisent leur droit à l'allocation mentionnée à l'article L. 5422-1 ou aux allocations mentionnées à l'article L. 5424-1 du même code entre le 1er mars 2020 et le 31 août 2021".
"La durée de la prolongation est égale au nombre de jours calendaires compris entre la date à laquelle le demandeur d'emploi atteint sa date anniversaire ou le lendemain de la date à laquelle il épuise ses droits et la date du 31 août 2021, desquels sont déduits les jours non indemnisables".
Cet arrêté précise ainsi déjà que ce report de fin d'indemnisation sera diminué si l'intermittent a exercé un autre emploi ou exercé son travail en étant rémunéré autrement que par cachets d'intermittents ("jours non indemnisés"). Il ne constitue par ailleurs pas réellement une année blanche d'indemnisation mais une prolongation des droits existants : ce fonctionnement, généreux pour certains, laisse d’autres intermittents sans protection, dans un fonctionnement finalement très inégalitaire.
Pour avoir droit au statut d'intermittent et aux indemnités afférentes, un technicien ou artiste doit pouvoir justifier de 507 heures d'activité déclarée et rémunérée (selon des conditions précises) sur douze mois. À la date anniversaire du chargement de ses droits, l’intermittent perd son statut s’il n’a pas de nouveau cumulé 507 heures en douze mois, ou bénéficie de nouveau d’un an d’indemnisation dans le cas contraire.
Cette date d’anniversaire revêt une importance critique dans l’application de ce décret qui génère un puissant effet de seuil. Ainsi, un intermittent dont la date anniversaire est au 29 février 2020 ne bénéficiera pas d’une année blanche. Dans le meilleur des cas, s’il a cumulé 507 heures en douze mois et disposait donc de droit à une indemnisation jusqu’au 1er mars 2021, il bénéficiera de six mois d’indemnisation supplémentaire, jusqu’au 31 août 2021. Mais s’il ne disposait pas de ses 507 heures (et notamment s'il allait les atteindre ce qui est particulièrement cruel pour les nouveaux "aspirants"), malheur à lui : il n’aura droit à rien et le confinement et les multiples annulations qui marquent encore aujourd’hui le monde lyrique l’empêchera d'atteindre ou de dépasser à nouveau ce seuil pour (re)trouver le statut. Sa situation est alors d’autant plus cruelle que si sa date anniversaire était tombée le lendemain, soit le 1er mars 2020, il aurait bénéficié de 18 mois d’indemnisation (de mars 2020 à août 2021), même sans avoir cumulé ses 507 heures (et donc même potentiellement sans avoir eu d’activité depuis mars 2019).
Autre problème : l’indemnisation exceptionnelle se terminera au 31 août 2021. Autrement dit, pour bénéficier d’une indemnisation en septembre 2021, les intermittents auront dû cumuler leurs heures dès septembre prochain. Or, déjà et sans préfigurer de nouvelles annulations en cas de réaggravation de la situation sanitaire, de nombreux spectacles ont été annulés pour la saison prochaine : tournées de concerts dont la création n’a pas pu se faire durant la période des festivals, tournées internationales, etc. L’Opéra de Paris est quant à lui fermé jusqu’au 23 novembre à Bastille et jusqu’à fin décembre à Garnier. Autant de cas qui généreront des sorties du statut dans un an.
Sans oublier le personnel de Pôle Emploi qui devra gérer une quantité massive de dossiers en même temps : alors que les renouvellements de statuts se font d'ordinaire au fil de la saison, tous les intermittents ayant le statut ont vu de fait leur date anniversaire fixée au 31 août 2021 et l'administration promet pour tous "un examen spécifique de renouvellement des droits au 1er septembre 2021".
Pour remédier à ces situations, le gouvernement envisagerait des mesures complémentaires, comme le fait de pouvoir calculer la prochaine affiliation sur la base des heures réalisées depuis la date du dernier cachet utilisé pour la précédente affiliation, même si ce dernier est antérieur à 12 mois (permettant de piocher des heures dans l’année précédente si plus de 507 heures avaient été réalisées). Une autre piste serait d’augmenter le nombre d'heures d'enseignement autorisées dans le calcul (pour effectivement inciter les artistes à aller dans les écoles comme l'annonçait le Président de la République). Enfin, une aide forfaitaire de 1.000 € serait envisagée pour les aspirants entrants ayant déjà cumulé au moins 361 heures. Toutes ces mesures doivent toutefois encore être confirmées et précisées dans de nouveaux décrets.