Cinq poèmes de Charles Baudelaire : Recueillement
Quatrième mélodie extraite du cycle de Claude Debussy, "Recueillement" reprend les différents éléments dramaturgiques du poème de Baudelaire. Dans son opus, le poète élabore une personnification de sa propre douleur. Il l'apostrophe (« Sois sage, ô ma Douleur ») et semble la considérer comme une enfant indocile (« tiens-toi plus tranquille », « donne-moi la main ; viens par ici »). Au fil du texte, cette douleur semble connaître une certaine accalmie, apaisée par le baume de la nuit.
L'atmosphère du poème semble se retrouver dès l'indication de tempo initiale "Lento e tranquillo". Après que le piano ait introduit l'atmosphère du morceau par quelques arpèges, la voix de Dawn Upshaw s'élève, dans une tessiture medium, sur un accompagnement dépouillé. La voix monte difficilement jusqu'au mot « Douleur », dont la dernière syllabe est tenue. Aux mouvements chromatiques de l'accompagnement répondent ceux de la voix, expressivité contenue d'un sanglot. Alors que le poème écrit « Une atmosphère obscure enveloppe la ville », une énergie brumeuse semble émaner des ténèbres. Le piano fait résonner des notes très graves à la basse et un accompagnement plus animé. Quant à la voix, elle s'étend dans une tessiture plus vaste. Cette énergie prend de plus en plus d'ampleur. La nouvelle apostrophe de la douleur avec le vers « Ma douleur, donne-moi la main ; viens par ici » est l'occasion pour le compositeur de revenir à l'accompagnement initial.
Cet accompagnement sert également de transition vers le premier tercet, dont le rythme se fait plus enjoué. Le piano délaisse les arpèges pour des accords répétés dans les aigus, sonorités cristallines qui paraissent évoquer la magie des moments passés, alors que la voix s'élance, mystérieuse, des médiums aux aigus et des aigus aux médiums. Moment remarquable de la mélodie, le dernier tercet amène le compositeur à densifier l'accompagnement par de longs accords tenus aux basses retardées. La voix s'élève jusqu'à la dernière syllabe du mot « Entends », ultime apostrophe faite à la douleur du poète. Dès lors, alors que le piano dialogue entre l'accompagnement initial et d'ultimes accords, la voix reprend son chemin vers les aigus pour décrocher une note sublime, la note la plus élevée du morceau, sur la première syllabe du dernier mot du poème. Suspendue dans les airs, la voix contraste en timbre et en caractère par rapport au début du poème où celle-ci est contenue.
Recueillement
Sois sage, ô ma Douleur, et tiens-toi plus tranquille.
Tu réclamais le Soir ; il descend ; le voici :
Une atmosphère obscure enveloppe la ville,
Aux uns portant la paix, aux autres le souci.
Pendant que des mortels la multitude vile,
Sous le fouet du Plaisir, ce bourreau sans merci,
Va cueillir des remords dans la fête servile,
Ma douleur, donne-moi la main ; viens par ici,
Loin d'eux. Vois se pencher les défuntes Années,
Sur les balcons du ciel, en robes surannées ;
Surgir du fond des eaux le Regret souriant ;
Le Soleil moribond s'endormir sous une arche,
Et, comme un long linceul traînant à l'Orient,
Entends, ma chère, entends la douce Nuit qui marche.
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Retrouvez les précédents épisodes de notre série consacrée à Debussy :
1. La brebis égarée
2. Entre Ciel et Terre
3. Mélodies vaporeuses
4. Cinq poèmes de Charles Baudelaire : Le Balcon
5. Cinq poèmes de Charles Baudelaire : Harmonie du soir
6. Cinq poèmes de Charles Baudelaire : Le Jet d'eau