Cinq poèmes de Charles Baudelaire : Le Balcon
Les Cinq poèmes de Charles Baudelaire s'inscrivent dans la continuité des Ariettes oubliées. Écrites entre 1887 et 1889, ces compositions constituent le deuxième grand cycle de mélodies de Claude Debussy. Contrairement aux Ariettes, qui connurent dès leur parution un grand succès dans les milieux parisiens, les Cinq poèmes furent mal accueillis. Ce serait la rémanence dans le langage musical du compositeur de certains traits wagnériens qui en serait la cause. Toutefois, cette esthétique wagnérienne sera progressivement abandonnée par le compositeur. C'est ce qui permet à des musicologues d'affirmer qu'avec ce cycle de mélodies, une transition s'opère dans son langage musical.
Dans un Allegro con moto se dévoile la première mélodie, écrite sur le poème "Le Balcon" extrait des Fleurs du mal de Baudelaire. Au-dessus d'une écriture pianistique très travaillée, la voix de Barbara Hendricks s'élève, grandiose :
Le Balcon
Mère des souvenirs, maîtresse des maîtresses,
Ô toi, tous mes plaisirs ! ô toi, tous mes devoirs !
Tu te rappelleras la beauté des caresses,
La douceur du foyer et le charme des soirs,
Mère des souvenirs, maîtresse des maîtresses !
Les soirs illuminés par l'ardeur du charbon,
Et les soirs au balcon, voilés de vapeurs roses.
Que ton sein m'était doux ! que ton cœur m'était bon !
Nous avons dit souvent d'impérissables choses
Les soirs illuminés par l'ardeur du charbon.
Que les soleils sont beaux dans les chaudes soirées !
Que l'espace est profond ! que le cœur est puissant !
En me penchant vers toi, reine des adorées,
Je croyais respirer le parfum de ton sang.
Que les soleils sont beaux dans les chaudes soirées !
La nuit s'épaississait ainsi qu'une cloison,
Et mes yeux dans le noir devinaient tes prunelles,
Et je buvais ton souffle, ô douceur ! ô poison !
Et tes pieds s'endormaient dans mes mains fraternelles.
La nuit s'épaississait ainsi qu'une cloison.
Je sais l'art d'évoquer les minutes heureuses,
Et revis mon passé blotti dans tes genoux.
Car à quoi bon chercher tes beautés langoureuses
Ailleurs qu'en ton cher corps et qu'en ton cœur si doux?
Je sais l'art d'évoquer les minutes heureuses !
Ces serments, ces parfums, ces baisers infinis,
Renaîtront-ils d'un gouffre interdit à nos sondes,
Comme montent au ciel les soleils rajeunis
Après s'être lavés au fond des mers profondes ?
— Ô serments ! ô parfums ! ô baisers infinis !
Retrouvez les précédents épisodes de notre série consacrée à Debussy :
1. La brebis égarée
2. Entre Ciel et Terre
3. Mélodies vaporeuses