Le cauchemar de Tosca à l’Opéra de Dijon
Tous les solistes masculins, ici transformés en comédiens, sont invités à rejoindre une plateforme blanche servant de scène principale. Une voix off, faisant référence aux livres d’Agatha Christie, leur annonce que Tosca, ancienne comédienne et l’une de leur partenaire de scène, est consumée par la folie, suite à des abus traumatiques. Afin de l’aider à guérir, les comédiens doivent monter une pièce de théâtre : mascarade faite pour éveiller cette Tosca aux yeux perdus. Mario en « faux peintre », poudrera sa bien-aimée afin de lui redonner des couleurs.
L’assistante (tenue par la comédienne Laure Descamps) se tient à son chevet et l’aide à prendre ses médicaments, mais elle assiste impuissante aux crises de folie de l’héroïne hantée par ses douloureux souvenirs. Tosca enfant est également incarnée sur scène (par la jeune maîtrisienne Emilie Richard), errant comme un fantôme, exécutant des scènes saisissantes exprimant la violence du passé. Elle dessinera notamment des dessins d’enfants sur le sol avec le sang de Scarpia, symbolisant tout ce qui lui a été volé (Scarpia que Tosca adulte aura fini par tuer avec une sorte de don de télékinésie, le poignardant d’un coup de couteau à distance). Après la mort de Mario, le spectacle s’achèvera sur l’image de Tosca adulte consolée par Tosca enfant (la guérison, peut-être, par la catharsis).
Les costumes de Nadia Fabrizio réservent des pièces pour la plupart colorées pour les solistes et les enfants, distinguant chaque personnage selon sa fonction (tandis que le chœur se parera de tenues noires). Les lumières conçues par Christophe Pitoiset accompagnent la narration en accentuant les actions, faisant basculer la comédie vers le drame. L'Orchestre Dijon Bourgogne, sous la direction de Debora Waldman, offre une virtuosité croissante et émouvante, explorant la richesse musicale de la partition. La cheffe se montre particulièrement attentive envers tous les artistes, notamment la jeune Emilie Richard dans le rôle de Tosca enfant qui interprète avec entrain l'air du berger devant son prêtre-persécuteur. Floria Tosca est incarnée par la soprano Monica Zanettin, qui développe son personnage avec bravoure et désarroi, portée par sa voix corsée et bien charnue (bien que certains aigus nécessitent encore un renforcement, notamment lors de la scène de la torture). Ses passages déployés savent asseoir une profondeur vocale et émotionnelle, révélant la profondeur de son tourment.
Le rôle de Mario Cavaradossi est tenu par le ténor Jean-François Borras, qui offre un jeu vocal solide accompagné d'une gestuelle simple mais efficace dans ses intentions. Sa voix reste pleine et riche dans des médiums et des graves vibrants, mais également vers ses aigus généreux et brillants. Les passages les plus exigeants manquent un peu de longueur de souffle (notamment en raison de ses choix de tempo un peu plus lents, qui viennent ensuite presser quelque peu pour compenser, perdant en souplesse et ampleur).
Le machiavélique Scarpia est pleinement assumé par le baryton Dario Solari, d’autant mieux qu’il se fait d’abord bienveillant, pour mieux se révéler et profiter de la situation. Doté d'un timbre généreux et riche, son chant est maîtrisé et conduit, déployant son timbre et dévoilant sa sournoiserie.
Ses machiavéliques complices Sciarrone et Spoletta, sont joués respectivement par le baryton Yuri Kissin à la matière large et bien ancrée et le ténor Grégoire Mour au timbre perçant et juste.
Malgré le contexte rendant son rôle secondaire (plus encore), Cesare Angelotti est assuré par Sulkhan Jaiani d’une voix chaude et portante, avec des phrases théâtrales et vivantes.
Le Sacristain, interprété par le baryton Marc Barrard offre une performance énergique et directe, poussant vers un jeu authentique et léger. Le geôlier, incarné par Jonas Yajure se fait solennel pour annoncer l'heure de la sentence du faux peintre.
Le Chœur de l'Opéra de Dijon assume pleinement les tableaux vocaux saisissants, dans une sensation de grande plénitude vocale et sonore. La Maîtrise de Dijon complète de ses quelques interventions, d’autant plus touchantes qu’ils semblent ici autant de possibles victimes…
Parmi quelques sifflets, le public dijonnais acclame les artistes, en particulier le triangle principal et la "petite Tosca", élément clé de cette version.