Sabine Devieilhe et Reinoud Van Mechelen triomphent des Boréades au TCE
Un vent de liberté souffle au Théâtre des Champs-Élysées avec cette version concertante des Boréades de Rameau comme le proclame haut et fort Gwendoline Blondeel en nymphe Orithie qui entonne de sa voix claire et franche « Le bien suprême, c’est la liberté ! ». Ce message émancipateur fut fatal en son temps à l’œuvre qui se heurta à la censure et fut oubliée pendant plus de 200 ans.
Cet adage, Sabine Devieilhe en reine Alphise le défend corps et âme, alliant une incarnation tantôt sensible tantôt affirmée qui colore infiniment son phrasé. Elle est applaudie lorsque sa voix ductile plane dans des nuances extrêmes vers la douceur d’ « un horizon serein » auprès de son amoureux Abaris (homme sans noble lignée). Puis elle se projette assurément dans la tempête déclenchée par son refus de se soumettre aux puissants (Borée et ses deux, fils Les Boréades) et de sacrifier son véritable amour, à l’aide de vocalises fusant vers l’aigu. Sa résolution indéfectible annonce l’orage en pleine poitrine.
À ses côtés, le ténor Reinoud Van Mechelen qui incarne Abaris n’est pas en reste en ce qui concerne l’assurance technique et la variété de ton lui permettant tous les reliefs dans les récits déclamés caractéristiques de la tragédie lyrique. Il clame son amour pour Alphise tout au long de l’opéra dans une ardeur renversante. « Les charmes (trop dangereux), la (malheureuse) tendresse » de sa voix mixte font sur l’auditoire leur irrésistible effet, et lorsqu’il ordonne aux vents orageux de disparaitre, les vocalises de colère jaillissent et les aigus fulminent. L’intensité atteint de tels sommets que les Dieux se taisent… et le public applaudit.
Côté dieux, le baryton Tassis Christoyannis incarne tour à tour Apollon et son (propre) grand prêtre Adamas, avec toute l’autorité de son assise vocale. La chaleur de son timbre enveloppe son personnage céleste d’humanité, et ses graves assurés le montrent également protecteur, ce qui le distingue de Borée, le Dieu des vents interprété par le baryton Thomas Dolié. Le souffle ne manque guère à ce dieu courroucé qui impressionne de par sa puissance vocale projetée assurément. Son entrée révèle le génie créateur de Rameau avec une écriture orchestrale hoquetante à l’image de son pouvoir face au refus d’obéissance d’Alphise. L’inventivité du compositeur point également dans une scène d’« Orage, tonnerre et tremblement de terre » faisant basculer le drame dans le chaos « constituant assurément la catastrophe naturelle la plus longue et la plus inventive de l’histoire de l’opéra baroque » (clame Sylvie Bouissou dans le programme de salle).
Cette scène révèle la nature violente des deux fils de Borée, prétendants éconduits par Alphise : Calisis, chanté par le ténor Benedikt Kristjánsson, et Borilée, incarné par le baryton Philippe Estèphe, chacun habitant son personnage distinctement. Le premier, croyant aux pouvoirs de l’amour se distingue dans la suavité. Il peine cependant à rendre l’intensité de sa colère, ses aigus en voix de tête s’amenuisant et une certaine raideur posturale empêchant sa voix de s’épanouir. Le second, lui, croit au pouvoir de la tradition dans une constance vocale qu’imprègne son timbre centré et riche et, si la virulence demeure contenue, sa déclamation précise lui assure une présence indéfectible.
Cette scène d’orage s’accompagne également d’un déchainement de l’Orfeo Orchestra étoffé (4 bassons, une viole de gambe contrebasse, 4 traversos -flûtes baroques-…) révélant la modernité compositrice de Rameau (certains y décèlent les futures inspirations de Weber ou Berlioz). L’ensemble assure joyeusement la ribambelle de danses présentes dans toute l’œuvre, montrant leur expertise dans des pages virtuoses sans éviter cependant quelques couacs aux hautbois ainsi que certaines imprécisions de départ peut-être dues aux gestes expressifs mais quelque peu brouillés du chef hongrois György Vashegyi. Ce dernier demeure néanmoins attentif aux chanteurs, en leur permettant une liberté dans l’expression des récits qui fait mouche auprès du public touché. Il est venu de Hongrie également avec le Purcell Choir qu’il a créé, celui-ci offrant une prestation soignée pouvant cependant manquer de volume dans les scènes de tumulte (la dimension des chœurs de Berlioz ou de Weber n'est pas encore la leur).
Si Les Boréades de Rameau furent oubliés pendant plus de 200 ans, le public semble ravi de sa réapparition et, de par sa clameur, les gardera en précieux souvenir.
Tournée "Les Boréades" : Retour en sur la répétition générale à Budapest avant le 1er concert demain !@DevieilheSabine @ReinoudVMTenor @WarnerClassics 21/09 @MupaBudapest 23/09 @TCEOPERA 26/09 @Musiikkitalo 30/09 @Concertgebouw https://t.co/GYtxNqbuB1 pic.twitter.com/WTOuCtFwQG
— CMBV (@cmb_v) 20 septembre 2023