Lélio Fantastique avec l’Orchestre du Capitole de Toulouse au Festival Enescu
La Symphonie fantastique de Berlioz est un sommet du romantisme français, une œuvre pleine et entière mais qui pourtant n'est en fait que la première partie d’un diptyque, suivi par Lélio, ou le Retour à la Vie (les deux œuvres sont d'ailleurs respectivement cataloguées opus 14 et opus 14b). Cette seconde pièce/partie singulière que le compositeur nomme “mélologue” incorpore à l'orchestre du chant ainsi que la voix d'un narrateur. Si la Symphonie fantastique est régulièrement jouée, et indépendamment de sa suite, les instructions de Berlioz sont sans appel quant à la performance de Lélio qui doit impérativement suivre cette Symphonie.
Le Festival Enescu de Bucarest en cette édition 2023 respecte bien entendu le souhait de l’auteur, avec la présence du comédien français Lambert Wilson en narrateur, dans le cadre d'une distribution de haut vol tricolore, avec Mathias Vidal et Vincent Le Texier en solistes, en compagnie de l’Orchestre national du Capitole de Toulouse.
Par sa voix suave, grave et une diction vive et colorée, Lambert Wilson donne chair et vie à son personnage d’artiste malheureux et rêveur, Lélio étant un double du jeune Berlioz éperdument amoureux de sa future épouse Harriet Smithson. Si le rôle du narrateur est d'abord réduit à préluder la Symphonie fantastique par une simple lecture du programme, assis dans un fauteuil de velours, il insuffle en Lélio l’émotion et la passion de cet esprit créateur avec une note d'humour tout à fait Berliozienne lorsqu'il indique aux musiciens et chanteurs la bonne interprétation de ses créations musicales.
Son jeu est accompagné d'une vidéo un peu abstraite (images animées de la nature et de villes, assemblées en collage) qui ne suit ni le rythme musical ni théâtral, un procédé déjà présent en temps de déconfinement Covid, ne laissant toujours pas percevoir son utilité dramaturgique.
Le ténor Mathias Vidal déploie son expressivité baroque, chantant avec la fougue intérieure et bouillonnante qui dévore le jeune artiste. Sa voix lumineuse et délicate s’aligne joliment avec l’accompagnement léger et intime du piano et de la harpe, mais s’avère inégale dans l’ensemble de sa tessiture. Les aigus sont bien émis et en pleine voix, malgré quelques notes serrées au sommet de la ligne, tandis que les graves restent généralement fuselés. La voix de tête est délicate, la prosodie naturelle et impeccable (même les voyelles nasales). L’émission est encombrée par un vibrato intense, mais sa musicalité sait combler ces fissures sonores.
Vincent Le Texier investit beaucoup d’énergie dans sa brève apparition sur scène. Le baryton français prononce le texte avec précision et saveur, mais le son est assez forcé, manquant de subtilités, en particulier dans les cimes où il est souvent amené à grimper. Le vibrato est démesuré et perd en contrôle, la projection étant insuffisamment volumineuse pour égaler la masse d’orchestre. Ses graves ont de la rondeur et de l’étoffe, mais l'émission manque de pulpe et d'épaisseur.
L’Orchestre national du Capitole de Toulouse, pour son deuxième concert du Festival (après avoir notamment interprété Isis, poème symphonique d'Enescu achevé par Pascal Bentoiu), est mené par le directeur musical du Liceu de Barcelone, Josep Pons. Cette phalange peuplée de musiciens à double vocation soliste et de rang impressionne par ses alliages de sensibilité musicale et d'habileté technique, virtuoses. La direction fait varier les tempi mais reste dans l’ensemble très énergique, toujours dans la cohésion. Le son est charnu avec un bon appui des archets (sur le crin comme sur le bois), des trémolos forts et dramatiques, des pizzicati (pincés) succulents. Leur impétuosité rythmique impressionne et porte tout l’orchestre, avec des basses qui ruminent dans les graves un son à la fois sombre et rugueux. La section des bois met en valeur la musicalité de ses pupitres, un basson hautement précis et sautillant, le lyrisme du hautbois et de la clarinette, tandis que la harpe représente la délicatesse de l'accompagnatrice orchestrale.
Le Chœur radiophonique roumain chante Lélio avec de belles et fines nuances, notamment la section féminine qui entonne “Miranda, Miranda” avec tendresse et précision. Réunis en tutti, leur puissance dépasse l'orchestre et emplit pleinement cet espace de la Salle du Palais (des congrès, Sala Palatului), énorme et peu acoustique (les musiciens sont même amplifiés).
La soirée s’achève sur un moment suspendu, avant l’éclatement d’un torrent d’applaudissements pour les artistes sur scène.