Minuit partagé au Festival Enescu
La 26ème édition du Festival Enescu (du nom du compositeur, Georges Enesco en français) à Bucarest est la première du nouveau directeur artistique Cristian Măcelaru (également Directeur musical de l'Orchestre National de France) qui succède à Vladimir Jurowski. Sa mission s’inscrit dans la tradition du Festival qui invite les plus grands noms de la musique classique, les grands orchestres et solistes. Même si la grande ouverture de son mandat prévue avec une nouvelle production d’Œdipe de Georges Enesco signée Stefano Poda (metteur en scène prisé cette saison notamment pour les ouvertures festivalières, récemment à Vérone et encore à Pesaro) n’a pas eu lieu, la programmation lyrique reste riche, notamment avec les concerts de minuit, série autrefois consacrée (notamment en 2019) à la redécouverte d'opéras baroques en version concert. Cette année, la soprano russe Olga Peretyatko et le ténor roumain Marius Vlad Budoiu ouvrent cette série vespérale, dans un format particulier de récital partagé/séquencé (chacun présente son programme séparément avec son propre pianiste).
Après son succès à Pesaro dans Adelaide di Borgogna, Olga Peretyatko se présente avec un programme complètement différent, celui en compagnie duquel elle sillonne les scènes internationales. Elle ouvre sa performance avec le répertoire français (ce qu'il aurait été difficile de comprendre, sans l'indication du programme, en raison de sa prononciation). Ses premières chansons interprétées en langues latines (français, portugais et espagnol) souffrent des mêmes difficultés : manque de clarté dans la prosodie, ainsi qu'un registre trop bas, inadapté à sa voix de soprano. Ses graves minces manquent de soutien et de couleurs, tout en compromettant la justesse.
Elle retrouve son éclat lorsqu'elle interprète la berceuse de Tchaïkovski, baignant naturellement et en douceur dans sa langue maternelle, pleinement épanouie dans les aigus. Les airs de Tosti et Mozart permettent au public de savourer ses atouts techniques et musicaux, avec un phrasé soyeux et finement ciselé. Elle termine la soirée avec le standard jazz Summertime, encore ancré dans les graves aérés avant de se hisser vers des cimes trop vibrées, un répertoire qui en somme ne met pas en valeur ses qualités vocales.
Marius Vlad Budoiu choisit un programme exclusivement germanique, composé de grands Lieder et Schlager (mélodies, et airs d'opérettes et de musique populaire de l’entre deux guerres). L’articulation prosodique est nette, l'allemand savoureux et le timbre lyrique. Le phrasé est dramatique et bien expressif, avec une voix de tête délicieusement pétrie, malgré des aigus généralement poussés et limités dans l’ambitus et l’émission. La projection est la plupart du temps droite, mais bascule dans un vibrato frémissant en pleine intensité, notamment aux bouts de la tessiture. Le répertoire d’opérettes sied à l'aisance de sa solide longueur de souffle et d'une intonation qui peut certes vaciller dans les longues notes tenues.
Le pianiste allemand Matthias Samuil joue aux côtés d'Olga Peretyatko avec beaucoup de finesse et une maîtrise de l’émission sonore. L’usage de la pédale est savoureux, les nuances riches et subtiles, avec beaucoup d’expressivité. Il accompagne la soprano avec délicatesse et entrain rythmique, rehaussant d'autant sa prestation vocale.
Son homologue Horea Haplea est plus résonnant et appuyé à la pédale, un toucher qui obscurcit l’expression et dépasse le soliste en volume. Son émission gagne en subtilité et douceur par la suite, permettant au ténor de déployer son talent, aussi bien qu'au pianiste d'enrichir l’éventail dynamique de son jeu. Finalement, ses dernières notes suaves le montrent mieux en soliste qu'en accompagnateur.
Les deux chanteurs se rejoignent finalement en duo pour La Veuve joyeuse, avant de finir dans la traditionnelle ambiance festive du Brindisi "Chanson à trinquer" de La Traviata, au grand bonheur du public qui acclame bruyamment les artistes.