Christianne Stotijn et l’écho du poète polyglotte à l’Opéra national du Rhin
Quoi qu’elle
en dise, Christianne Stotijn maîtrise le français, parlé
dans un premier temps pour présenter au public strasbourgeois les
choix de poèmes et de compositeurs. Le fil conducteur de « l’écho
des poètes », titre du récital inspiré d’un poème de
Pouchkine, s’étire de l’Amérique de Barber et Bernstein
à la Russie de Rimski-Korsakov. L’enjeu est de taille pour
la mezzo-soprano et son pianiste, qui passent d’une langue et d’une
couleur musicale à l’autre.
Le voyage débute par un mélange d’Europe et d’Amérique puisque des poèmes du norvégien Aasmund Olavsson Vinje et de Heinrich Heine entre autres sont choisis, mis en musique par Charles Ives. L’allemand passe sans difficulté dans la voix de Christianne Stotijn, qui sait mettre en valeur les caractéristiques linguistiques par sa prononciation assurée et précise. Pour « Du alte Mutter » (Toi, vieille mère) de Vinje, touchant poème d’amour filial, le rythme sautillant puis ralenti de la deuxième strophe est véhiculé avec conviction. Le vibrato quelque peu défaillant est compensé par une compréhension fine du texte, comme de tous les textes, d’ailleurs, de ce récital. Le piano de Joseph Breinl, tout en retenue, construit une passerelle cohérente avec le texte de « Feldeinsamkeit » (Seul dans les champs), de la même façon que les graves de Christianne Stotijn enveloppent littéralement le mot « umwoben » (enveloppé).
Le périple se poursuit avec des poèmes français de Rilke sur les Mélodies passagères de Samuel Barber. « Le clocher chante » par l’énergie abrupte du piano, presque fiévreux, le « carillon » sonne et résonne. Pour « Tombeau dans un parc », les aigus de la voix s’apparentent à une corde de violon.
Pour quatre des Douze chansons d’Emily Dickinson par Aaron Copland, la voix joue sur les mots de « Why do they shut me out of Heaven ? » (Pourquoi m’ont-ils fermé la porte du paradis ? »). Les jeux de contrastes du piano sont multiples. Les piqués finaux sur « There came a wind like a bugle » (Alors vint un vent comme un clairon) tranchent avec la fin légère de « Going to Heaven » (Je monte au Ciel !).
Pour les deux chansons d’amour (Two love songs) de Bernstein, la « flamme [qui] s’étendra en vagues » est discordante, et la prononciation périlleuse. L’élision des diphtongues est fréquente, comme pour les Three Browning Songs d’Amy Beach, dont l’une s’achève par un « monde » plus tremblé que vibré.
C’est certainement en russe que la maîtrise de Christianne Stotijn est la plus aboutie. La diction est impeccable, le piège du « o » russe qui devient « a » est désamorcé. Les aigus sont plus purs, plus portés sur ces poèmes de Pouchkine, dont le sens est véhiculé par l’expressivité du chant, tendre sur les dernières paroles de « Toi et vous » : « Je lui dis : comme vous êtes aimable, / Mais je pense : comme je t’aime ! ».
C’est encore le russe et le « Coucou » de Tchaïkovski, tiré des Seize Chansons pour enfants qui achève le récital pour le rappel. Le jeune garçon venu offrir un bouquet à Christianne Stotijn arrive donc à point nommé, et elle lui explique le texte de la courte pièce, avant de le chanter, sans partition. L’expressivité très forte qu’elle déploie au gré des interrogations de l’oiseau trouve son apogée dans le chant final du coucou, qu’elle décline en le variant, doux puis plus fort, quasi-victorieux sur le dernier aigu de l’oiseau.