Jules César couronné de frais lauriers multicolores au CNSM
Figurant la Fortune, Victoria Jung monte sur scène en arrivant par la salle, les yeux bandés. Heureusement elle voit à travers pour contourner la fosse sans y tomber (sans quoi, dans ce spectacle chargé de symboles et métaphores, elle aurait figuré "la vérité sortant du puits", mais elle aurait alors dû se déshabiller pour correspondre parfaitement à l'allégorie -ceci dit, ces spectacles du Conservatoire ne reculent pas devant les exigences les plus physiques du théâtre, en atteste La Ronde de Boesmans montée en 2013 et dont nous parlait l'élève d'alors, Catherine Trottmann).
Hormis elle, vêtue de noir, les sept autres personnages sont tout de blanc vêtus. Mais, comme le bas de la robe de Fortune, le plateau est inondé de grandes fleurs multicolores en tulle (dont les Romains se saisissent par poignées pour les jeter dans les airs, avant que Cléopâtre ne s'y baigne). La mise en scène de Marguerite Borie, dans la scénographie et les lumières de Laurent Castaingt, enchaînera ainsi les symboles de même que les postures d'acteurs, mouvements évidents dans lesquels les jeunes artistes se campent avec franchise, mais qui occupent bien tout l'espace de la belle Salle Rémy Pflimlin -du nom de l'ancien Président de France Télévisions (entre 2010 et 2015) et Président du Conservatoire National Supérieur de Musique et de Danse de Paris décédé en décembre 2016.
En harmonie avec ce plateau, chacun des personnages est représenté de manière simple et littérale (aussi bien par le costume que la posture scénique). Jules César est un militaire, il fait donc claquer les talons de ses grandes bottes sur le sol. Cela a toutefois le mérite de bien caler rythmiquement la voix de la mezzo-soprano Aliénor Feix, qui ne s'entendra sûrement pas dans tout l'Empire romain, surtout lors des vocalises qui disparaissent en raison d'un rythme effréné imposé par l'orchestre. Preuve en est : Jules César retrouve son potentat vocal lorsque la phalange allège le son.
La Cléopâtre d'Iryna Kyshliaruk ne sera pas entendue non plus dans toute l'Égypte, mais elle use fort bien de ses belles capacités vocales, ménageant des crescendi aussi admirables que ses alanguissements langoureux. Visuellement, elle ressemble à l'image d'Épinal de Cléopâtre : elle a une perruque noire coiffée en carré et sa belle robe-toge blanche (la flasque de whisky qu'elle sort soudain pour la ranger aussitôt et définitivement, correspondant beaucoup moins à la réalité historique ou à un propos dramaturgique). Ses quelques fausses notes, dues à une tension un peu visible est compréhensible chez une jeune artiste (comme chez ses collègues), d'autant que ces bémols sont balayés par une excellente performance dans les deux airs, qui sont les deux chefs-d'œuvre de cet opus : Se pietà di me non senti et Piangerò la sorte mia.
Sextus est le caractère aux traits les plus forcés, une véritable caricature de petit garçon sage, avec gilet, culottes courtes, soquettes et même un nounours en peluche qu'il traîne avec lui comme son doudou ! Sa métamorphose en grand garçon puis en homme s'opère lorsqu'il met une veste sanglante : combien la mezzo Brenda Poupard séduit de sa belle voix douce lorsqu'elle se perche sur la montagne de fleurs, alors que l'accompagnement se réduit à deux instruments du continuo (élèves instrumentistes clairement formés à un accompagnement sensible).
La soprano Cyrielle Ndjiki Nya est très généreuse en intentions pour son rôle de Cornelia, vibrante (tremblante même) d'expressivité et de grands accents. Idoine pour ce répertoire et cet opus qui la plonge tout de même dans les affres du désespoir dès sa première mesure et les premières minutes du drame ! Si le lamento détimbre ensuite, le medium et l'aigu bien placés serviront à asseoir l'homogénéité désirable de l'ambitus.
Le CNSM donne aussi la voix libre à toutes les tessitures et, rappelant la belle richesse de l'école de chant en France, il propose au contre-ténor Paul Figuier le rôle de Ptolémée. Il reste certes du travail à réaliser pour maîtriser cette tessiture si complexe, mais l'étendue en est difficile à juger, tant l'interprète sait cacher les faiblesses derrière une énergie admirable. Jean-Christophe Lanièce, baryton incarnant Achille, fait sonner une belle couleur bien placée et cuivrée dans le grave (c'est là son talent d'Achille), mais serre à mesure qu'il monte dans les aigus (c'est là son talon d'Achille). Enfin, également baryton, Jiaming Zhang tient les rôles de Curio/Nireno dans un italien approximatif (défaut hélas répandu sur le plateau) mais avec une voix sonore, assurée et timbrée.
L'Orchestre du Conservatoire national supérieur de musique et de danse de Paris a déjà tant d'un ensemble professionnel : justesse, placement rythmique, nuances, dynamiques, maîtrises des plans et des équilibres. Toutefois, ces instrumentistes et le chef d'orchestre Philipp von Steinaecker (remarquable d'énergie et de précision) ont choisi avant tout de montrer toute l'étendue de leurs talents, plutôt que de soutenir les chanteurs. La fosse est ainsi impressionnante de virtuosité et de sonorités, tirant tout le volume des instruments modernes (bien plus sonores que ceux de l'époque), au risque de tout couvrir, étouffer, presser.
Il n'en demeure pas moins époustouflant que des "élèves" offrent une prestation d'un tel niveau sur une durée de 3h45 ! La foule qui se pressait aux portes, les malheureux qui tentaient de racheter des places pour ce spectacle à guichets fermés (donné trois fois) et les acclamations finales sont des lauriers bien mérités pour ces artistes. Veni, Vidi, Vici !