Orphée et Eurydice : virevoltante flamme à Garnier
L’Opéra de Paris programme au Palais Garnier l’opéra de Gluck Orphée et Eurydice, dans sa version française de 1774, traduite en allemand. Surtout, il s’agit d’une version chorégraphiée et mise en scène par Pina Bausch en 1975, et qui garde aujourd’hui toute sa modernité et son esthétisme. Les mouvements, d’une synchronisation parfaite, sont gracieux. La scénographie de Rolf Borzik est épurée : le monde des humains est symbolisé par d’immenses murs en toile blanche, qui disparaît au fur et à mesure qu’Orphée s’approche des enfers. C’est d’ailleurs la nécessité de le remonter pour l’acte final qui justifie l’entracte à 35 minutes de la fin. Bien sûr, celui-ci permet également au ténébreux danseur étoile Stéphane Bullion, interprète d’Orphée dont la présence scénique est quasiment ininterrompue, de s’octroyer un repos. Les costumes du même Rolf Borzik sont taillés dans des matières nobles, qui subliment les corps, tantôt par leur drapé et tantôt par leur transparence, voire leur absence. Le rôle-titre est ainsi vêtu d’un simple caleçon, laissant à la vue du public les muscles saillants du danseur et la valse permanente de sa cage thoracique, s’ouvrant grande à chaque inspiration. Afin de concentrer l’œil du spectateur sur les danseurs, les trois chanteuses sont vêtues de robes noires (sans distinction de genre pour le rôle masculin d’Orphée, donc) et cultivent une rareté de mouvement.
Le rôle d’Orphée est chanté par Maria Riccarda Wesseling (qui interprétait Iphigénie pour la création de la production de Warlikowski de cet autre opus de Gluck en 2006), dont la voix perce le chœur introductif de son timbre satiné dans des aigus joliment couverts. Le son en est parfois très dur et se serre dans le medium lorsqu’il est émis depuis le fond de gorge, peu aidée par sa posture prostrée. Le rôle d’Eurydice est chanté par la soprano sud-coréenne Yun Jung Choi dont les aigus souples, ronds et bien ouverts reposent sur un timbre soyeux et un vibrato rapide et éthéré. Chiara Skerath prête sa voix au court rôle de l’Amour, qui ne revient pas dans cette version pour ramener Eurydice à son bien-aimé. Sa voix flûtée et vive au timbre clair et au vibrato léger délivre un chant nuancé et accentué.
Thomas Hengelbrock dirige l’ensemble et le chœur Balthasar Neumann, sans baguette et d’un geste sec et précis, en chantant le texte du bout des lèvres afin de mieux ressentir les respirations de ses interprètes, qu’il marque de ses propres inspirations sonores. Sans jamais couvrir les chanteurs, il varie les nuances et les tempi, faisant admirablement ressortir les pupitres les plus signifiants dramatiquement. Il convient d’ailleurs de souligner la beauté des solos de flûte (en bois, au son doux) et de hautbois (au phrasé délicat et cadencé), absolument envoûtants. Le chœur, dont les basses poignantes ressortent, chante sans partition et offre une diction précise aux chuintantes parfaitement synchronisées : les voix se mêlent aux mots dans une poésie pré-schubertienne.
Orphée et Eurydice offrira aux franciliens deux autres productions servies par de belles distributions dans les prochains mois : mis en scène par Robert Carsen au Théâtre des Champs-Elysées (disponible ici) et à Versailles (réservation ici) en mai et juin, puis à l'Opéra Comique dans une mise en scène d'Aurélien Bory en octobre (mais déjà disponible ici).