Le Coq d'or rit jaune en Blu-ray
Le Tsar Dodone vit dans son lit, gouverne à l'horizontale et souhaiterait bien pouvoir dormir malgré la menace militaire qui plane sur son royaume. Même limité physiquement à l'espace d'un baldaquin, Pavlo Hunka déploie aisément ce personnage et sa voix (dont les immenses graves métalliques passent formidablement à l'enregistrement), à l'unisson et en harmonie avec le personnage familier du Roi des contes de fées : noble de figure mais tendrement rêveur, puissant potentat (vocal et couronné) qui n'aspire qu'à rêver et qui offrira même son royaume pour la Tsarine de Chemakhane (les autorités russes pré-soviétiques goûtèrent évidemment fort peu l'image de ce Tsar fainéant, la censure pourchassera cet opus qui se justifiait en rappelant qu'il s'agissait d'un conte écrit par une figure nationale : Pouchkine).
Fort heureusement, l'Astrologue offre au souverain un coq d'or qui préviendra des invasions. Le généreux donateur, propriétaire du gallinacé, est interprété par Alexander Kravets qui descend du ciel par une échelle mais dont la voix doit rester sur les cimes très aiguës en montant sur l'échelle des notes. Il doit alors multiplier les mimiques et les passages en voix de tête, pour ce rôle d'une difficulté rare.
Le royaume de ce tsar menacé par les guerres est un plateau de détritus. Dans les décors signés Barbara De Limburg et les lumières de Joël Adam, un lit très blanc (éblouissant lors des zooms que la vidéo enchaîne avec un rythme soutenu) est posé sur les débris sombres : monceaux de papiers brûlés comme trace des anciens contes perdus ou champ de charbon rappelant la richesse gâchée de la Russie. Grâce au Coq d'or, la lumière jaune envahit le plateau et le roi se lève enfin. Il part même à la guerre et débarque sur le deuxième acte dominé par l’échafaudage d'une queue de dragon et surtout la voix de la Tsarine de Chemakhane. Sa partie tenue par Venera Gimadieva est impressionnante d'exigence et de beauté. Semblant venir d'une autre planète sur son vaisseau-dragon, elle s'approprie le plateau, la vidéo et le deuxième acte par une démonstration de couleurs, de séduction, de souffle. Une Fille de Neiges et Reine de la Nuit apocalyptique.
Les deux Tsarévitch (fils du Tsar) sont des jumeaux aux mèches peroxydées symétriques. Ils partagent également une inquiétude scénique visible (a fortiori en gros plan) mais Alexey Dolgov (Guidon) mène et projette sa voix de ténor un peu serrée vers un aigu intense, tandis que Konstantin Shushakov (Afron) est un baryton en tous points russe par la noblesse du grave. Alexander Vassiliev campe le Général Polkan, tremblant et couard (à dessein) dans le jeu, nullement dans la voix. Agnes Zwierko incarne quant à elle Amelfa avec la générosité de la matriochka l'intendante russe, en d'immenses graves charpentés (qui passent extrêmement bien à l'enregistrement). La ligne est fluctuante mais les notes poitrinées sont très en place (parfois même un peu hachées).

La partie délicate du Coq d’Or est chantée de manière impeccable et sonore depuis la fosse par Sheva Tehoval (assurée d'éveiller tout le royaume), tandis que la danseuse Sarah Demarthe revêt l'imposant costume sur scène d'une manière plus vraie que nature en grattant le sol, battant des ailes.
Comme toujours chez Laurent Pelly, les Chœurs (ici ceux de la Monnaie préparés par Martino Faggiani) sont aussi impeccables et stylisés dans leurs costumes (signés Jean-Jacques Delmotte) que dans leur chorégraphie (ordonnancée par Lionel Hoche). Une prestation et une précision qui se retrouvent dans leur chant, comme dans celui de l'Orchestre Symphonique de la Monnaie, l'ensemble étant dirigé par Alain Altinoglu. Son interprétation semble au disque un modèle du genre slave, depuis les berceuses aux cuivres en sourdines jusqu'aux bois orientalisants, en passant bien entendu par les chants de coq claironnant.

Le troisième acte offrait l'illusion d'un royaume unifié, comme le Tsar et la Tsarine dans le grand lit, transformé en char d'assaut ! Mais rien n'est bien qui finit bien. D'un coup de sceptre, le roi tue l'astrologue qui demandait la reine pour récompense en échange du coq d'or. D'un coup de bec, le coq tue le roi mais tout n'était qu'un rêve, qui s'achève avec une grande cruauté dans la vision de Laurent Pelly, où nul ne peut vivre comme un coq en pâte.