The Dream of Gerontius à la Philharmonie de Paris
Sir Edward Elgar (1857-1934), compositeur en grande partie autodidacte, est vénéré par le public britannique tel une institution. Son œuvre très diversifiée ne quitte guère les salles de concert anglaises notamment à l’occasion des fameux Proms de Londres, que ce soit sa musique de chambre, ses compositions orchestrales, vocales et chorales, ses cantates et oratorios. Par contre, il n’a jamais abordé l’opéra. Un peu dédaigné en France, Elgar est dès lors surtout connu pour ses deux symphonies, ses fameuses Variations Enigma (appréciées en ce même lieu au début de ce mois) et bien entendu ses marches « Pomp and Circumstance » dont la première, la plus célèbre, est considérée par les anglais comme leur second hymne national. L’oratorio The Dream of Gerontius (Le Songe de Géronte), créé au Festival de Birmingham en 1900 sous la baguette du chef allemand Hans Richter n’a jamais plus été donné en France depuis 1905. Cette œuvre est surtout connue grâce aux nombreux enregistrements effectués, dont le dernier en date par Daniel Barenboim cette année même pour la firme Decca avec son orchestre berlinois de la Staatskapelle et notamment le ténor Andrew Staples aussi présent à la Philharmonie de Paris en ce soir du 21 décembre 2017.
Daniel Harding, pour sa seconde saison à la tête de l’Orchestre de Paris, a donc choisi d’inscrire cet oratorio ambitieux à sa programmation, mobilisant la totalité de sa phalange, mais aussi le Chœur de l'Orchestre de Paris et même le Chœur de jeunes. Catholique fervent dans un pays anglican, Edward Elgar a pour le texte de son oratorio puisé au vaste poème du même nom publié en 1865 par le Cardinal John Henry Newman. Ce poème, visant à l’édification de croyants peu éduqués, montre en première partie un Gerontius angoissé à l’idée de la mort et des péchés accomplis, qui encouragé par l’assemblée, va se diriger vers la Sainte Montagne. Son âme ensuite, résistant à l’appel des forces infernales, accompagnée par la figure de l’Ange rédempteur, choisira de rejoindre le purgatoire dans l’attente de monter vers le royaume céleste et la transfiguration. Cet oratorio austère, d’une grande intensité dramatique, conjugue selon les règles énoncées par Haendel, les passages orchestraux et symphoniques, les parties de chœurs très développées et d’une rare difficulté, les solos des trois solistes intervenants, Géronte et l’Âme de Géronte (ténor), l’Ange (mezzo-soprano), le Prêtre et l’Ange de l’Agonie (basse).
Elgar n’apparaît pas comme un compositeur novateur ou révolutionnaire. Sa musique s’inscrit dans son époque, la fin de règne de Victoria, mais son sens aiguisé de l’orchestration fait merveille et confère une grande puissance à une œuvre comme The Dream of Gerontius. Cet oratorio dégage par ailleurs une émotion certaine, par la sincérité qui transparaît tout particulièrement dans les solos du personnage de Gerontius ou par l’utilisation du leitmotif (élément thématique que le compositeur associe à un personnage, un sentiment, une idée, etc.) qui s’impose depuis le Prélude : la prière, le désespoir, la confiance.
L’opéra Parsifal de Richard Wagner a souvent été évoqué en parlant de l’oratorio d’Elgar. Daniel Harding donne une lecture fervente de l’ouvrage, d’une intensité prenante et fait valoir un Orchestre de Paris en très grande forme. Le Chœur, par son homogénéité et l’harmonie de ses différents pupitres, surmonte sans aucune difficulté perceptible ses nombreuses interventions. Le terrible chœur des démons, en seconde partie, souligne le grand soin apporté à sa préparation par Lionel Sow. En dehors du ténor Andrew Staples qui campe Géronte avec assurance, ductilité et une émouvante sincérité, les deux autres interprètes déçoivent malheureusement.
Avec cette voix toujours aussi ambivalente entre soprano et mezzo, Magdalena Kožená donne peu de relief à l’Ange. Les aigus apparaissent serrés et la diversification des couleurs, voire la profondeur, manquent à l’appel pour convaincre. John Relyea impose un matériau vocal certes large, puissant, mais un rien brutal et qui bouge dangereusement lors de sa première intervention. Ce concert a fait l’objet d'une captation : vous pouvez le découvrir ci-dessous.