Les éternelles Nuits d'été québécoises à la Philharmonie
Dès la première mélodie des Nuits d'été d'Hector Berlioz, l'Orchestre métropolitain de Montréal de Yannick Nézet-Séguin offre à la Philharmonie de Paris une démonstration de la richesse de chaque timbre et de sa délicatesse tandis que Marie-Nicole Lemieux offre déjà toute la palette de son émotion et de ses douleurs dans une tessiture embrassant le contralto-mezzo. Porté par la phalange, le souffle immense de Marie-Nicole Lemieux passe de la colombe d'une mezzo rayonnante au deuil d'une contralto sépulcrale. Elle octavie même la note sur "linceul" : la prenant une octave plus bas, aux tréfonds de la tessiture. Après cette Villanelle (mélodie paysanne, danse rustique), Le Spectre de la Rose déploie l'ampleur du souffle et des graves, étirés, fantomatiques mais précis, aussi bien à l'orchestre qu'au chant. L'auditoire est plongé dans un unisson de sentiments, l'articulation d'une infinie délicatesse sur les paroles de Théophile Gautier comme sur la musique d'Hector Berlioz. Bien vite, l'auditoire réalise combien le tempo est lent et combien il ralentit encore davantage au fur et à mesure. Pour assumer un temps à ce point étiré, il faut une intensité musicale hors-du-commun. Heureusement, les artistes réunis pour l'occasion sont exceptionnels et parviennent à nourrir l'infini, la plupart du temps. En effet, ce tempo a pour défaut majeur de transformer certaines qualités en défauts : les diérèses (articulations entre deux voyelles) et liaisons donnent l'impression d'un magnétophone au ralenti, les r roulés s'apparentent à des gargarismes et le vibrato devient un tremblement.
Le temps alangui est aussi celui pris par la chanteuse entre les morceaux. Elle se détourne longuement pour se concentrer, laissant au public le loisir de se déchaîner entre les nombreux tousseurs saisonniers (pour eux aussi, l'acoustique des lieux est excellente) et les spectateurs intimant le respect du silence introspectif.
Logiquement, Les Nuits d'été doivent être les plus courtes de l'année, mais ce concert propose plutôt d'apprécier la qualité des musiciens tout au long de la nuit polaire qui semble durer des jours entiers mais dont nul ne voudrait sortir. Surtout pas lorsque Marie-Nicole Lemieux conclut le cycle bras ouverts, en invitant le public à prolonger le voyage avec elle : « Où voulez-vous aller ? » L'émotion est alors au paroxysme, dans la salle comme sur la scène : la chanteuse et le chef s'étreignent longuement, front contre front, sous le triomphe du public.
Le reste du concert propose un programme symphonique changeant complètement le tempo. Sur le Premier Concerto pour violoncelle de Camille Saint-Saëns, un orchestre à la vaillance retrouvée, mais toujours aussi précis, porte l'instrumentiste virtuose Jean-Guihen Queyras. Celui-ci reçoit un accueil aussi enthousiaste que la chanteuse et il offre même un bis, la Strophe sur le nom de Sacher d'Henri Dutilleux, que le chef d'orchestre admire, assis parmi ses musiciens. Le concert se clôt par les passionnantes Variations Enigma d'Edward Elgar, une œuvre composée en 1898-1899 et dont le mystère n'a toujours pas été percé. En effet, les variations sont basées sur un thème caché, qui n'est jamais énoncé et de nombreux musicologues ont émis des hypothèses diverses pour tenter de résoudre cette énigme (s'agit-il de l'hymne britannique God Save the Queen, ou alors Auld Lang Syne transposé en mineur, la Symphonie Prague de Mozart, le thème traditionnel de La Folia, ou encore Rule Britannia, voire la Sonate pathétique de Beethoven ? Les paris restent ouverts).