Vives et touchantes Ensaladas de Mateo Flecha par le quatuor Cantoría
Le projet européen eeemerging+ permet à de jeunes ensembles de musique ancienne d’être soutenus et de rayonner dans toute l’Europe grâce à son riche réseau de festivals. Le Festival d’Ambronay en fait partie et propose chaque année un mini-festival lors de son festival, offrant aux jeunes ensembles sélectionnés l’occasion de se produire devant un public de passionnés de musique ancienne. Composé de la soprano Inès Alonso, de l’alto Oriol Guimerà, du ténor Jorge Losana et de la basse Valentín Miralles, l’ensemble espagnol Cantoría avait marqué les auditeurs lors de l’édition 2018, qui leur avait décerné le Prix du public. En cette rentrée et en l’occasion de son 43ème festival, les Editions Ambronay publient le tout premier enregistrement de ce quatuor vocal spécialisé dans la polyphonie ibérique de la Renaissance. Pour montrer la qualité de leur travail depuis sa création en 2016, Cantoría propose sept ensaladas du compositeur Mateo Flecha dit l’Ancien (El Viejo, c. 1481-1553). Ce maître de chapelle des filles de l’empereur Charles Quint trouva en la forme de l’ensalada le moyen d’exprimer à la fois sa foi en la Vierge et au Christ, et sa reconnaissance envers son souverain terrestre. Grâce à leur forme en couplets laissant libre cours à la créativité du texte et de la musique, Mateo Flecha y excelle en subtilités d’illustrations musicales et, surtout, d’humour.
Avec en outre quelques ensaladas extraites d’un recueil édité en 1581, l'auditeur peut aussi déguster dans ce disque des œuvres découvertes seulement sous forme manuscrite, dont El Toro qui n’avait jamais été enregistré auparavant. Lucifer y est décrit comme étant un méchant taureau contre lequel doit lutter un brave adversaire. Les jeux vocaux fusent, « ¡Tòmale ! ¡Tòmale ! » (Attaque ! Attaque !), illustrant l’affrontement, avant que la soprano Inès Alonso, de sa voix tendre et maternelle, ne ramène à la réalité. Peut-être n’étions-nous qu’un enfant, plein de crainte malgré son désir d’aller voir les vaches, qui voyait dans les cornes du taureau celles de Lucifer... Comme cette œuvre inédite, l’auditeur se laisse aisément emporter par la narration malicieusement illustrée de ces ensaladas, dans lesquelles l’intelligence des textes honore autant les luttes et les victoires des figures divines chrétiennes que celles de l’empereur Charles Quint. Contrastant avec d’amusants et joyeux passages d’imitation d’instruments, l'auditeur se laissera aussi bercer par d’autres passages plus caressants, comme dans La Joute où l’entrée de l’adversaire est annoncée par la guitare ou les trompettes « Ti pi tipi zing pirlin… ». Le diable est ainsi prévenu : « Mala noche haveis de haver don Lucifer » (Vous allez passer une mauvaise nuit, monsieur Lucifer) !
Si l'amusement surgit volontiers avec ce texte et ses figurations musicales, c’est que l’ensemble Cantoría sert les intentions du compositeur grâce à une interprétation tout aussi fine, justement malicieuse parce que traitée avec sérieux et précision. Non seulement le texte est limpide, mais les harmonies et les différentes entrées sont aussi transparentes qu’équilibrées. Peut-être l’espièglerie serait-elle encore plus communicative en concert, elle n’en est ici pas moins appréciable à la captation. Ainsi, et surtout pour celui qui ne comprend pas l’espagnol, il est possible d’aller au-delà de la première écoute, séduisante par la beauté de ces polyphonies, et d’en savourer les textes, traduites en anglais et en français dans le livret. C’est l’essence même d’une interprétation : la technique de l’ensemble reflète un tel travail, une telle homogénéité et appropriation de l’œuvre qu’elle se fait oublier. Les intentions artistiques du compositeur et de ses contemporains semblent seules resurgir à la lumière d’aujourd’hui.
Comme l’évoque le ténor Jorge Losana, directeur artistique de l’ensemble, c’est justement en partageant de cette manière les histoires de ces hommes et de ces femmes de la Renaissance qu'il est aujourd’hui possible de trouver une part de notre propre identité.