Viva Napoli à Ambronay
Considérée par beaucoup (et toujours de nos jours) comme la capitale du monde musical, et particulièrement de l’opéra, depuis le XVIIIe siècle, Naples a notamment bâti cette renommée séculaire du temps des baroques Lumières. De nombreux orphelinats y enseignaient la musique avec excellence, développant ainsi une incontournable "école napolitaine" où l'expérimentation devenait tradition. Les castrats y connurent une époque faste, les compositeurs écrivant pour eux des mélodies toujours plus spectaculaires et émouvantes. Depuis, les castrats ont été remplacés par les contre-ténors et les mezzo-sopranos, un remplacement doublement illustré ce soir (quoique pour d'autres raisons). En effet, pour partager ce répertoire, la violoncelliste Ophélie Gaillard avait invité avec son ensemble Pulcinella le contre-ténor Christophe Dumaux.
Malheureusement souffrant, il ne peut incarner le chanteur virtuose. Fort heureusement, la mezzo-soprano Eva Zaïcik, présente pour un concert la veille, se rend disponible pour le remplacer au pied levé. Quelques modifications de programme sont de fait opérées, mais le concert ainsi sauvé peut rendre compte du lyrisme et de la virtuosité annoncés.
Vivaldi se retrouve ainsi au programme même si Naples était étrangère à ce Vénitien. Son œuvre lyrique reste non moins manifeste de l’art virtuose des castrats. En à peine 48 heures, Eva Zaïcik a également pu travailler quelques airs du programme initial de Porpora, qu'elle aborde avec assurance et présence vocale, certes dans une imperceptible retenue.
L'accompagnement des musiciens se fait d'autant plus un soutien, sans rien retrancher de la qualité du son, de leurs attaques incisives comme de terribles poignards faits de glace. La chanteuse s'appuie également sur l'intensité envoûtante de la plainte lyrique et sans exagérations. Le grain de sa voix offre une chaleur bienvenue, surtout dans ses graves tendres. La résonance soutient ces déploiements mais aussi la précision intense et le soin porté au texte sans oublier ses souples vocalises.
Lors des concerti de Leonardo Leo et de Nicola Fiorenza, Ophélie Gaillard fait entendre une virtuosité éloquente et un phrasé élancé toujours au service de la musique. Le grain du timbre de son instrument est complété par une certaine tension qui ajoute en expressivité. Quelques très rares et extrêmement courtes maladresses trahissent une attention redoublée à la direction musicale, bien qu’invisible aux yeux du spectateur, à cause de ces changements tardifs et d’importance.
L’ensemble Pulcinella montre ainsi son impressionnante capacité d’adaptation, faisant toujours preuve de reliefs sentis et collectifs. Ophélie Gaillard n'a besoin que de quelques gestes pour exprimer son implication avec le collectif depuis son violoncelle. L'ensemble instrumental déploie sa vitalité dans une grande précision d'archets, rendant un son homogène jusqu'aux nuances les plus piani. Le timbre plus insolite du psaltérion, métallique et mystérieux, joué par la percussionniste Michèle Claude, complète la riche palette des sonorités. Le public apprécie également les œuvres enjouées, interprétées avec autant de sérieux que de plaisir, l'occasion de saluer également l’agilité du violoniste Pablo Valetti qui a droit à plusieurs traits virtuoses, notamment dans le Concerto pour cordes n°2 de Francesco Durante.
Le public se montre particulièrement ravi de ce concert, sauvé et qui n'aura pourtant laissé paraître aucune de ses difficultés. Redoublant son enthousiasme pour l’ensemble des artistes, l'auditoire reçoit en bis le bouleversant "Lascia ch’io pianga" extrait du Rinaldo de Haendel, air célébrissime qui garde néanmoins de sa superbe, suivi d’un agile et même espiègle Scaramuccia de Nicola Matteis, ultime manifestation d’une complicité touchante nourrie d'exigence patente.