Le jardin d'Eden de Joyce DiDonato au Théâtre des Champs-Elysées
Il s’agit du dix-neuvième concert annoncé de la grande tournée qui amène la chanteuse américaine à porter sa bonne nouvelle au monde entier, mais le public pourrait croire que c'est le tout premier tant la mezzo-soprano paraît fraîche et exaltée par ce récital. Accompagnée par l'ensemble Il Pomo d'Oro, Joyce DiDonato a mis au point tout un programme autour de la Nature, afin de nous questionner sur l'avenir que nous souhaitons pour notre planète. Plus qu'un récital (et l'album correspondant paru chez Erato), Eden est une initiative complète qui comprend aussi bien des ateliers avec des chœurs d'enfants locaux dans chaque ville visitée, que la distribution à chaque spectateur de graines à planter pour aider au renouvellement de la nature.
À travers douze œuvres extrêmement variées dans les époques et les styles (près de 400 ans de musique se côtoient sans aucun ordre chronologique), le récital explore l'Histoire de l'Humanité, ses rapports avec tout ce qui l'entoure, ses faiblesses, ses interrogations, ses aspirations profondes. C’est également l’occasion pour l’auditeur de découvrir des compositeurs et des œuvres méconnues, ainsi qu’une création, commandée par la chanteuse elle-même à la compositrice Rachel Portman (première compositrice à avoir reçu un Oscar). Le lien entre chaque pièce se fait sans peine et de manière très organique, non seulement par leur évocation commune de différents aspects de la nature, mais également par l’interprétation qu’en font les artistes, avec notamment quelques libertés au niveau de l’instrumentation : ainsi, le théorbe (ajouté) chez Mahler se lie à celui de Marco Uccellini (compositeur italien du XVIIe siècle).
Sans emphase, mais avec beaucoup de cœur, Joyce DiDonato se fait tour à tour l’incarnation de la première voix du monde, prêtresse invoquant la Nature, ou prophétesse parfois désabusée mais finalement porteuse d’espoir. La mise en espace de Marie Lambert-Le Bihan, très simple, n’empêche pas la femme de scène hors pair qu’est DiDonato de captiver l’audience, d’autant que l’ensemble instrumental fait souffler une énergie telle qu’il serait difficile d’être insensible à ce spectacle. Les lumières de John Torres ont aussi une grande part dans l’impact et la lisibilité de la scénographie, qui cultive une interrogation profonde, un regard nouveau sur notre environnement.
La chanteuse bénéficie d’une voix lui permettant d’aborder avec aisance de nombreux styles très différents, bien que son timbre convienne mieux aux pièces énergiques, brillantes, voire colériques. En effet, si elle est capable de pianissimi bouleversants dans la partie médium de sa voix, dans les aigus son vibrato est souvent trop serré, créant des tensions et des problèmes de justesse. Les graves sont ronds et chaleureux, surtout dans le registre de poitrine, sauf quand ils sont trop appuyés, devenant parfois un peu trop laryngés. Aidée par un très long souffle, un enracinement impressionnant de son corps, une diction parfaite quelle que soit la langue (mais particulièrement dans l’allemand), et une incarnation sans faille de chaque œuvre interprétée, DiDonato est visiblement très investie par le message qu’elle porte dans ce récital, et transmet une émotion palpable.
Les musiciens de l’ensemble Il Pomo d’Oro, savamment dirigés par la violoniste Zefira Valova, sont les partenaires tout désignés pour ce projet, bien que les musiques de Mahler, Ives ou Copland ne fassent pas partie de leur répertoire habituel. Capables de tous les contrastes, des tempêtes les plus terribles comme des plus tranquilles oasis, les musiciens parviennent à créer une illusion d’orchestre symphonique dans les œuvres plus modernes, notamment grâce à la sonorité superbe des cors, mais aussi à trouver un réel mordant dans les pupitres de cordes dans les œuvres plus baroques. Élégants jusque dans leur raccord en milieu de concert, qui se fait sur fond d’accords improvisés par le clavecin, ils savent réellement garder une continuité entre chaque pièce, tout en interprétant chaque style comme il se doit.
A stunning recital, intelligently programmed, with the slick choreography and lighting of a pop show. @JoyceDiDonato in superb form ably accompanied by @ilpdo @TCEOPERA pic.twitter.com/Nch5RvIIKO
— Simon Morgan (@SP_Morgan) 5 octobre 2022
En fin de récital, le chœur d'enfants Sotto Voce rejoint les artistes pour interpréter une chanson écrite par des enfants ayant participé à un des ateliers du projet à Londres. Joyce DiDonato prend le micro dans un français très personnel mais tout à fait charmant et compréhensible pour transmettre son message d’espoir et de paix, et inviter les spectateurs à soutenir les arts pour les enfants, rappelant qu’ils sont notre futur. Elle conclut en interprétant le sublime Ombra mai fu de Haendel, et le public qui l’acclame peut la croire, rarement soirée fut « plus douce, plus aimable, plus apaisante ».