Hommage à Gabriel Bacquier, héraut lyrique français
Héros de la Mancha, de l'Hérault à la Manche
Gabriel Bacquier, baryton-basse né le 17 mai 1924 à Béziers (dans le Département de l'Hérault) s'est éteint ce 13 mai 2020 à Lestre (dans la Manche). Du début à la fin de sa vie et de sa carrière, il aura ainsi parcouru la France de l'Hérault à la Manche en incarnant notamment le héros Don Quichotte de la Mancha comme ici en 1966, dans la version mise en musique par Maurice Ravel lors d'un concert avec l'ORTF :
Pourtant, c'est d'abord pour une raison bien tragique qu'il prit la route, ou plutôt les chemins de fer, avant même ses 20 ans en s'y engageant pour éviter le STO (travail obligatoire imposé par les nazis sous l'occupation, entâchant profondément -comme pour ses contemporains- son rapport à un pays et une langue allemande qu'il regrettera lui-même de ne pas avoir abordée quoiqu'il chanta la tradition viennoise de l'opérette, lui qui fut un modèle de prosodie française et un expert du chant italien). S'il conservera toute sa vie son attache au Sud, à Béziers (où il fait ses débuts professionnels en interprétant Ourrias dans l’opéra Mireille de Gounod) et à l'Hérault, il monte ainsi à Paris et entre au Conservatoire dès la Libération.
Juste avant d'en être diplômé, le chanteur redescend pour rejoindre la troupe de Nice, puis remonte à la capitale pour naviguer d'abord dans le monde du cinéma et du cabaret, puis passe par la Belgique pour rejoindre la troupe de La Monnaie en 1953 avant de revenir à Paris pour celle de la Réunion des théâtres lyriques nationaux (Opéra national de Paris et Opéra Comique) en 1956.
1960 est l'année des triomphes et de la célébrité internationale : en juin, il interprète Scarpia avec Renata Tebaldi en Tosca sous la direction de Georges Prêtre à l'Opéra de Paris. Dans la foulée il incarne Don Giovanni au Festival d'Aix-en-Provence, retransmis en Eurovision.
Preuve que sa carrière prendra alors une dimension internationale, il chante le rôle de Leporello dans le même opus au Metropolitan Opera House de New York :
Gabriel Bacquier s'impose alors comme un grand nom français et mondial, encore et davantage à la suite d'un événement offert à son pays natal, en 1973, lorsqu'il incarne le Comte pour Les Noces de Figaro dans la première de la légendaire mise en scène de Giorgio Strehler qui inaugure au Château de Versailles puis à Garnier le mandat de Rolf Liebermann à la direction de l'Opéra de Paris.
Traversée des pays, des genres et des époques
La carrière de Gabriel Bacquier est aussi riche en théâtres et collègues prestigieux (solistes et maestros) qu'elle est internationale mais également diverse : inscrit dans cette tradition des artistes de métier qui s'investissent dans tous les registres, et s'appuyant sur une sensibilité qui le poussait d'abord vers le dessin puis le théâtre, il balaye le tragique comme le comique, l'opéra, l'opérette et le récital. L'artiste se définit aussi par ses fidélités, trois décennies de carrière revenant au Festival d'Aix-en-Provence et au Théâtre du Capitole à Toulouse, entre deux tournée à New York (18 saison au Met), Chicago, Londres, Vienne.
Si son travail, sa technique et sa formation en font un de ces artistes qui pouvait "tout chanter", de la musique baroque à celle de ses contemporains, sa voix sombre, son phrasé tonique et son articulation diabolique (notamment par la méticulosité) en font un grand "méchant" d'opéra et séducteur violemment lyrique : Don Giovanni, Golaud, Iago, Falstaff, les quatre diables, Méphistophélès.
Il fait ses adieux à la scène dans la capitale parisienne qui l'accueillit en troupe : à l'Opéra Comique en 1994, mais ne délaisse pas le monde de l'opéra et se consacre à la pédagogie.
L'un des premiers hommages rendu à sa mémoire l'a été par son collègue, de tessiture et de Sud : Ludovic Tézier, le saluant à sa manière inimitable, rappelant que la France eut et a encore un baryton de toute première classe mondiale.
Gabriel Bacquier nest pas mort!Il est monté,comme un du sud qui « monte à Paris »,aujourdhui au delà de Paris!Il mourra si on loublie. Comme lOpéra quil a porté au pinacle.Noublions ni lun ni lautre. Je suis triste.Adieu lami,adieu « pays ».Adieu collègue et Maître.
— Ludovic Tézier (@TezierLudovic) 13 mai 2020
France Musique diffusait l'année dernière une série de grands entretiens avec Gabriel Bacquier : un feuilleton en cinq épisodes pour revenir sur une carrière historique