
Synopsis
Otello
Revenu victorieux d'une bataille contre les Turcs, le Maure Otello retrouve sa femme Desdémone sur l'île de Chypre. Voulant le faire tomber, son lieutenant Iago fomente un plan qui, ça et là, instillera un doute dans son esprit : Desdémone le tromperait avec Cassio. Aveuglé par sa jalousie, Otello se laisse convaincre par les preuves que lui avance Iago. Hors de lui, Otello étrangle Desdémone, avant de se poignarder lorsqu'enfin il découvre la vérité.
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Création de l'opéra
Otello est l'orthographe en italien du personnage et de la tragédie de Shakespeare Othello (1604). La plupart des pays (hormis donc l'Italie qui écrit systématiquement Otello) désignent Otello comme l'opéra de Verdi et Othello comme la pièce de théâtre de Shakespeare. Cette marque honorifique pour l'opus musical italien est d'autant plus à noter qu'Otello est le nom d'un autre opéra d'après Shakespeare, composé par Rossini pour le Teatro del Fondo de Naples en 1816. Première différence notable toutefois, l'opus de Verdi composé bien plus tard (créé à La Scala de Milan en 1887) peut assumer pleinement la conclusion tragique du drame de Shakespeare alors qu'à son époque, Rossini est chahuté en raison de la terrible fin de l'œuvre (pourtant éloignée du texte d'origine car les livrets sont alors faits d'après des adaptations, traductions et localisations : l'opus de Rossini ne se déroule ainsi pas à Chypre mais reste à Venise, comme au premier acte de la pièce de théâtre). Une lieto fine (fin heureuse) est même substituée ultérieurement à la fin d'Otello par Rossini.
À noter d'ailleurs que l'opéra de Verdi s'appelait Iago durant sa longue phase d'élaboration, pour ne pas reprendre à Rossini le titre d'un opus au répertoire. Ce n'est qu'après la phase d'orchestration en 1886 et durant la réécriture de compléments pour le texte, que Verdi le baptiste définitivement Otello.
Le lien entre Rossini et Verdi ne s'arrête pas là : comme Rossini avait interrompu sa carrière excessivement tôt (après Guillaume Tell), au sommet de sa gloire et de sa fortune (matérielle et créatrice), Verdi décide tout d'abord en 1871 de refermer son catalogue sur le chef-d'œuvre Aïda. Selon les témoignages et sa correspondance, il entre dans un état de distance triste, regrettant l'état de l'opéra mais aussi de la politique italienne (Verdi était une figure politique et musicale de l'autonomie italienne, entre autres face au "germanisme austro-hongrois").
Alors que Verdi compose entre un et deux opéras par an puis un tous les deux ans à partir de 1857, le public devra attendre 16 ans après Aïda pour applaudir un nouvel opéra du maître : Otello, son avant-dernier (avant Falstaff), dans une ultime période créatrice marquée par Shakespeare et une nouvelle collaboration, avec Arrigo Boito.
C'est d'abord l'éditeur de partitions milanais Giulio Ricordi, désespéré de perdre une aussi importante source de revenus suite à la retraite de Verdi, qui parvient à remotiver le compositeur par une série d'habiles propositions et de relances. Ricordi rappellera d’ailleurs le projet au bon souvenir de Verdi en lui envoyant, deux Noëls de suite, un gâteau avec un bonhomme en chocolat (allusion à Otello), au point que le projet d'opéra sera également surnommé "chocolat".
Si Verdi s'est éloigné de l'opéra en 1871, sa retraite prend une forme spirituelle et il compose son Requiem en 1874. Précisément, Ricordi, avec l'aide de Franco Faccio (chef d'orchestre ami de Verdi), profite des suites d'un triomphe offert au Requiem à Milan le 30 juin 1879, pour subtilement orienter la conversation vers Shakespeare, Othello et un jeune librettiste (également compositeur) : Arrigo Boito. Verdi se laisse convaincre et finalement même enthousiasmer par le projet mais il prend tout son temps et grâce à son statut de maître célébré à travers le monde, il peut imposer ses conditions. Verdi fait d'une certaine manière passer un essai à Arrigo Boito en révisant d'abord avec lui un précédent opéra, Simon Boccanegra (essai transformé : le succès de cette seconde version créée à Milan en 1881 est incomparable avec celle de Venise en 1857). Verdi ayant le pouvoir, étant courtisé par toutes les maisons d'opéra (et les chanteurs intriguant pour participer à ses créations dès qu'elles sont connues), il peut d'abord exiger que le librettiste lui envoie un texte complet avant de prendre sa décision, il peut imposer et apporter tous les changements qu'il souhaite. Le maestro fait ainsi travailler son jeune librettiste de 1879 à 1887, avec plusieurs étapes de compositions et de très nombreuses exigences (mais aussi échanges d'idées).
La composition musicale s'accélère de manière drastique (presque fiévreuse) en 1884, mais elle faillit bien s'interrompre définitivement en raison d'un incident-quiproquo. Un journaliste attribua des propos erronés à Boito (également compositeur) après le succès de son opéra Mefistofele (dont il signa texte et musique) à Naples, laissant penser que Boito souhaitait composer lui-même la musique d'Otello. Verdi décide alors d'abandonner la collaboration avec Boito, mais celui-ci ne désespère pas, continue le travail et convainc notamment de nouveau le compositeur par le texte de son terrible Credo (Iago déclarant sa foi en un Dieu cruel).
Verdi a également acquis le pouvoir de choisir le lieu de création de son œuvre (ce sera La Scala qui lui avait remis le pied à l'étrier grâce au triomphe de son Requiem), le chef d'orchestre, les chanteurs. Verdi se réserve aussi le droit d'annuler la première jusqu'à la dernière minute : si la qualité ne lui convient pas ou bien si ses thèmes musicaux ont déjà fuité en-dehors du théâtre (le public attend fiévreusement les nouvelles mélodies verdiennes et les répétitions sont menées dans un absolu secret). Le succès est triomphal dès la création (Verdi est rappelé à 20 reprises) et l'opus est bientôt produit à travers les théâtres en Europe comme outre-Atlantique : dès avril 1888 à New York, juillet 1889 à Londres, 1894 à Paris (avec un petit ballet composé par Verdi pour plaire aux goûts parisiens, comme il l'avait fait dans ses précédentes adaptations) et la création viennoise en 1882 propose dans le rôle-titre celui qui avait créé Parsifal à Bayreuth en 1882 : Hermann Winkelmann (preuve que la "guerre Wagner-Verdi" était exagérée).
Otello est un "général maure", donc d'origine africaine (arabo-berbère, du Maghreb). Maure à l'époque de Shakespeare désigne une personne à la peau sombre de manière générale. Pour cette raison, une tradition d'opéra consistait à noircir le visage du chanteur. Une pratique qui a pu susciter des polémiques par comparaison avec les spectacles racistes durant la ségrégation américaine. En 2015, le Metropolitan Opera House de New York publie un communiqué annonçant l'abandon du maquillage noir. Le Directeur du Met a ensuite expliqué que le visage sombre du ténor Aleksandrs Antonenko était dû à une lumière ombragée. Dans un autre opus au Met trois ans plus tard, Anna Netrebko avait également suscité des interrogations quant à son bronzage alors qu'elle interprétait Aïda, esclave éthiopienne.