Sur les traces de Georges Bizet à Bougival
Dominée par la datcha de Tourgueniev, ami de cœur de la cantatrice, la Villa Viardot bâtie en 1830 dans un style néo-classique aux influences palladiennes, a été totalement réhabilitée pour rouvrir ses portes à l’été 2023. Sa superbe décoration intérieure composée de fresques néo-pompéiennes justifie à elle seule son classement au titre des monuments historiques. L’Association des Amis de Georges Bizet, organisatrice de la manifestation, se trouve désormais présidée par le musicologue Hervé Lacombe, éminent spécialiste de l’œuvre du compositeur de Carmen. La ravissante commune de Bougival conserve par ailleurs la mémoire d’autres interprètes éminentes, dont la cantatrice Lucy Arbell égérie de Jules Massenet -sa villa se situe à quelques pas de l’église de Bougival- et celle dans un tout autre domaine musical de la reine de Paris et du Music-Hall, Mistinguett, dont la propriété borde la Seine.
La première manifestation de la journée de dimanche visait à reconstituer un concert de musique tel qu’il se trouvait organisé au temps de Pauline Viardot, avec un mélange de pièces pour piano solo ou à quatre mains, ponctuées de chant et de mélodies. La thématique choisie par la pianiste Anne Le Bozec visait à évoquer le Rhin et ses deux rives -allemandes et françaises- dans toute sa dimension romantique, fleuve capricieux souvent traversé par Pauline Viardot -artiste faisant fi des frontières- au cours de ses tournées de concerts et de ses représentations théâtrales. Robert Schumann s’imposait notamment avec la transcription pour piano quatre mains de sa Symphonie Rhénane, fort brillamment interprétée sur le piano Erard de 1898 de Pauline Viardot par Anne le Bozec et sa complice, Aline Bartissol. Des œuvres pour piano de Félix Mendelssohn, Georges Bizet avec des extraits des Jeux d’enfants ou de Méditation, romance sans paroles souvenir de L'Arlésienne complétaient la partie strictement instrumentale du programme.
La soprano Marianne Croux, si appréciée dans son interprétation de Blanche de Dialogues des Carmélites de Francis Poulenc à l’Opéra de Massy l’an dernier, était pour sa part chargée de la dimension mélodique du concert. Que ce soit dans Die Lorelei, Berg und Burgen tiré des Liederkreis de Robert Schumann, deux mélodies de Franz Schubert en langue française dans une traduction d’Édouard Bélanger comme cela se pratiquait alors, la voix de Marianne Croux s’élève avec une vivacité de chaque instant et une luminosité réjouissante. Longue et souple, avec un aigu particulièrement épanoui, la voix de Marianne Croux se pare de mille feux et traduit avec bonheur et au plus juste chaque morceau interprété. L’émotion se fait plus intime avec même une pointe d’humour dans la ravissante mélodie de Pauline Viardot Vous parlez mal de mon ami ou celle de Franz Liszt sur un texte de Victor Hugo, Comment disaient-ils. Les deux pianistes se relaient pour accompagner la cantatrice avec un toucher lyrique et délicat pour Anne Le Bozec, ou celui plus affirmé de ton d’Aline Bartissol.
Le pianiste Nathanaël Gouin est l’artisan du second concert intitulé "Bizet sans paroles", du nom de son disque paru chez Mirare en 2020 et vivement salué alors. Il reprend à Bougival pour partie le programme enregistré tout en introduisant des pièces nouvelles de Bizet.
Sur le piano Erard, Nathanaël Gouin, ouvre sa prestation avec les si difficiles Variations Chromatiques qu’il enlève avec virtuosité et un sens aigu de l’architecture du morceau. Ces qualités s’imposent avec clarté et sans ostentation sur l’ensemble de son programme de La Chasse fantastique aux Chants du Rhin ou aux entractes de Carmen. Il propose par ailleurs une transcription très arpégée réalisée par ses soins de la "Romance de Nadir" des Pêcheurs de perles ou les transcriptions de Bizet (pour le Chœur de Magnanarelles de Mireille et le Chœur des soldats du Faust de Gounod). Ces deux concerts recueillent d’intenses bravos de la part du public présent.
Plusieurs autres concerts seront proposés dans ces mêmes lieux en octobre prochain. Dans l’intervalle sur ce même piano et deux autres instruments anciens, l’Association des Amis de Georges Bizet s’est attelée à l’enregistrement de l’intégralité des mélodies du compositeur, notamment avec le ténor Cyrille Dubois. Le disque paraîtra cher Harmonia Mundi en 2025.