Les Pêcheurs de perles à Bordeaux, valeurs sûres
Rendez-vous sur cette page le samedi 17 février 2024 à 20h pour profiter de la retransmission intégrale de ce concert via France Musique et en cliquant sur ce lecteur :
De nos jours, Georges Bizet est un joyau français de l’Opéra, aux côtés de Massenet et Gounod. Si ses œuvres sont jouées dans le monde entier, et son célébrissime Carmen est un des emblèmes du genre, la gloire fut longue à venir dans un parcours semé d’embûches qui en dit long sur la capacité d’une époque à résonner avec la création de son temps. Pourtant, Bizet faisait tout pour mettre ses spectacles au goût du jour. En 1863, alors que la France est fascinée par les récits de voyages lointains, alors que tout artiste digne de ce nom fait “son voyage en Orient”, le jeune compositeur propose au public du Théâtre-Lyrique de faire le sien. Les Pêcheurs de perles est un drame, une histoire d’amitié éternelle et d’amour meurtri qui se passe sur la très exotique et colorée île de Ceylan (aujourd'hui le Sri Lanka), dans un village au bord de l’eau.
Sobriété et dépouillement sont les mots d’ordres que le metteur scène japonais Yoshi Oïda a retenu du livret d’origine. Sa lecture scénique souligne le contexte fragile de ces sociétés exposées aux aléas du climat, et dont les fruits de la pêche assurent les seuls revenus. Les costumes signés Richard Hudson sont des haillons bleutés rapiécés au hasard des personnages, avec une mise en lumière (de Fabrice Kebour) spécifique pour le rouge sacré de Zurga et Leïla, témoin de la puissance symbolique que revêt leur fonction respective de Chef et de Grande Prêtresse. Jusqu’aux accessoires (paniers en osier, bâtons de bois, brasero en terre cuite), la précarité des conditions est emphatisée.
Au-delà du contexte, le décor semble en dire plus du sujet en lui-même. Les atermoiements de Zurga, le serment brisé de Nadir et le conflit d’engagement qui habite Leïla trouvent leur reflet dans la toile de fond imaginée par Tom Schenk. Ici, comme les sentiments des personnages, les couleurs sont mêlées, dans une citation presque in extenso des œuvres de Turner. La perle, symbole de contraste et de coloration relative au regard, trouve là une métonymie habile…
Évoluant sur un sol en forme de vague qui permet de poser l’action sur deux plans, le chœur est un des acteurs déterminants du drame. Symbole de solidarité en même temps que de la vindicte populaire qui juge les actions des solistes, sa force collective est rendue au centuple par les chanteurs du Chœur de l'Opéra de Bordeaux, dirigés par Salvatore Caputo, puissamment investis. Dans le chœur qui conclut le premier acte, le son est tonitruant sans que la justesse n’en souffre. Au contraire, les voix semblent naître de l’harmonie elle-même, ce qui renforce la cohérence d’une masse sonore qui emporte tout sur son passage.
Le drame des Pêcheurs de perles naît de la confrontation entre le collectif et l’individu. Les personnages sont des particules emportées par les courants profonds de la tradition et de leurs sentiments. Une fragilité émotionnelle qui se retrouve dans l’écriture de la ligne vocale de Nadir, un marginal qui peine à trouver sa place dans le village. La voix de Jonah Hoskins s’ancre dans la tradition de l’attribuer à des ténors légers. La couverture des aigus est délicate et fleurie, le souffle long lui permettant d’aller au bout des phrases suspendues de l’écriture.
En contrepoint, le puissant Zurga que la voix plus grave installe comme un chef stable et rassurant exige une voix large. Celle de Florian Sempey assume sans inconfort cette charge, de sa projection forte et généreuse qui n’a aucun mal à passer dans les moments les plus tonitruants de l’œuvre. Le legato de velours et la finesse d’interprétation du baryton français permet aussi à l’émotion de passer lorsque se révèle son amour pour Leïla, et sa technique solide lui permet également d’atteindre des aigus de haute volée. Cependant, et de fait, un léger déséquilibre se produit dans le premier duo avec Nadir.
La soprano belge Louise Foor prend le rôle de Leïla avec l’assurance d’une chanteuse confirmée. Ses appuis ascendants ont la vigueur de la jeunesse, et sa facilité d’exécution paraît naturelle. Le geste est pur, comme l’est le timbre dans les aigus. Elle semble pouvoir dicter à sa voix toute la palette d’émotions que son personnage traverse, sans que cela ne nuise à la cohérence globale.
Nourabad, protecteur de la prêtresse et garant du respect des traditions est incarné par le plus expérimenté Matthieu Lécroart. Dans un rôle qui ne laisse pas beaucoup de temps à la voix pour se déployer, le baryton français tire son épingle du jeu en imposant tout de suite son timbre acéré, fait d’une accroche particulièrement efficace, qui se distingue aussi avec le chœur.
Pierre Dumoussaud à la tête de l'Orchestre National Bordeaux Aquitaine déroule une direction très favorable à l’épanouissement de ces voix. Le regard levé vers la scène, il sait faire respirer les musiciens avec les chanteurs, et faire en sorte que le tempo ne les empêche pas de porter le sens de l’action. Les couleurs diaphanes qui émanent de l’orchestre dans le prélude à l’entrée de Leïla et la cohérence des textures, y compris dans les passages furieux, sont la preuve de la bonne osmose trouvée entre les musiciens et leur chef.
Le public, heureux de retrouver une production qui, déjà en 2017 avait beaucoup plu in loco, applaudit assez également tous les acteurs du spectacle. Complet dès le début du mois de janvier, les pêcheurs de musique semblent avoir trouvé à nouveau une jolie perle.
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