Cendrillon aux baskets de vair à Bastille
La Cendrillon de Jules Massenet, s’affirmant comme un Conte de Fées à la fois intime et humoristique, pourrait être attendue au Palais Garnier plutôt que dans la vaste salle de l’Opéra Bastille. La subtilité et la délicatesse de la musique de Massenet peinent à y trouver pleinement leurs marques, malgré la direction musicale inspirée et tout en justes nuances de Keri-Lynn Wilson.
Cette cheffe canadienne d’origine ukrainienne -fondatrice et directrice musicale de l’Orchestre Ukrainien de la Liberté créé en réaction à l’invasion russe-, effectue ses débuts à l’Opéra national de Paris avec cet ouvrage. Sa battue à la fois nette et précise, fait preuve d’une sensibilité très expressive et respecte toutes les multiples nuances de la partition. Keri-Lynn Wilson porte en outre une attention particulière aux équilibres et aux formats des voix en présence. Pour autant, ces dernières apparaissent -à deux ou trois exceptions près- un peu justes au niveau de la projection en salle.
Il en va ainsi de Jeanine de Bique dans le rôle de Lucette/Cendrillon malgré une indéniable musicalité, une facilité réelle et une virtuosité bienvenue. Elle expose un timbre presque -un rien- trop sombre pour le rôle alors que le médium et le grave manquent de consistance. La comédienne par contre se révèle habile et très présente, notamment dans les aspects plus mélancoliques des rôles incarnés.
À ses côtés, la mezzo-soprano Paula Murrihy -Didon au sein des Troyens de l’été 2023 donnés au Festival Berlioz de La Côte-Saint-André entre autres- campe un séduisant Prince Charmant, au timbre soutenu, au bel aigu, au-delà d’un vibrato un rien accentué. Le duo exquis entre Lucette et le Prince Charmant du troisième acte au pied du chêne enchanté, constitue un moment de grâce au sein de la représentation.
Caroline Wettergreen, soprano colorature, livre une ravissante leçon de chant dans le rôle de La Fée, avec des suraigus parfaitement en place et un phrasé délicat, même si son chant ne possède pas tout à fait l’éclat ici attendu.
Daniela Barcellona campe une savoureuse et envahissante Madame de La Haltière. Le grain de voix certes demeure, mais la ligne de chant ne possède plus la puissance d’antan. De fait, son interprétation de son grand air de l’acte III “Lorsqu’on a plus de vingt quartiers” ne ressort pas assez pour cueillir comme il se doit le public.
Les rôles des deux demi-sœurs de Cendrillon, Noémie et Dorothée, sont confiés à deux jeunes artistes de la nouvelle Troupe Lyrique de l’Opéra national de Paris, la soprano Emy Gazeilles et la mezzo Marine Chagnon, toutes deux déjà bien repérées. Elles s’amusent beaucoup en scène. La voix de la première sonne juste et brille dans les aigus, celle de la seconde révèle un timbre affirmé et fort repérable dans les ensembles.
Laurent Naouri campe Pandolfe avec tout son professionnalisme et un humour distancié, tandis que Philippe Rouillon met sa forte voix de baryton au timbre profond au service du Roi. Ce sont des artistes issus des Chœurs de l’Opéra qui se chargent avec cœur et esprit des rôles plus brefs : Luca Sannai dont la voix de ténor dominante habite le personnage du Doyen de la faculté, Laurent Laberdesque, Surintendant des plaisirs et baryton sonore, ainsi que Fabio Bellenghi, le Premier Ministre, basse aux vraies assises.
Mariame Clément a réglé une mise en scène un peu en décalage avec l’esprit féérique, situant toute l’action auprès d’une immense machine envahissant la scène et fabriquant sous la houlette de Madame de La Haltière, des jeunes femmes épousables. Ce réalisme presque industriel produit son effet, que Mariame Clément alimente d’un certain nombre de gags ou d’idées bienvenues. Aux traditionnelles pantoufles de vair succède ainsi en forme de clin d’œil à la modernité, une paire de baskets de vair offerte à Lucette par la Fée sa marraine lors du finale.
La salle pleine, avec notamment beaucoup de jeunes aux places de balcon, réserve un fort chaleureux accueil à ce spectacle joyeux destiné à tout public.
Retrouvez également notre compte-rendu de la première représentation de cette mise en scène