West Side Story au Châtelet convoque les années Choplin
Dès sa création en 1957, la catégorisation de West Side Story au titre de chef d'œuvre apparut comme une évidence. Bien du chemin a toutefois été parcouru depuis : du film de 1961 avec Natalie Wood incandescente, jusqu’au remake de Steven Spielberg en 2021, en passant par la version de Broadway de 2009, portée par Matt Cavenaugh et Josefina Scaglione. Il s’agit de l’une des œuvres les plus reprises au Châtelet (qui en avait déjà proposé une production en 2007, reprise durant la saison 2012-2013 pour 80 représentations : soit près du double des séries de 42nd Street l’année dernière, et des Misérables l’année prochaine).
Cette version signée Lonny Price et qui fait le tour du monde depuis l'année dernière, se base essentiellement sur un immeuble principal (entouré de deux immeubles accessoires) permettant d’abriter tant boutique, drugstore que chambre de Maria. Si le rendu visuel est éloquent, la taille relativement réduite de la scène du Théâtre (17,80m de profondeur) rend la manœuvre difficile dans les chorégraphies d’ensemble, notamment durant la scène du gymnase.
La chorégraphie de Jerome Robbins a été reprise par Julio Monge pour l’occasion, restant globalement dans une fidélité assumée à la version originale (d’aucuns puristes regretteront cependant la simplification par moments, notamment durant la scène d’ouverture). Si dans son ensemble, la production reste académique, le passage de Somewhere, désormais enrichi d’une reprise du premier couplet en canon par l’ensemble et agrémenté d’un ballet en sextet reprenant la danse du Cha-cha du premier acte tombe un peu comme un cheveu sur la soupe.
En Maria, Melanie Sierra arrive avec un curriculum impressionnant (Into the woods, In the Heights, Les Misérables, Mamma Mia, mais aussi au Metropolitan Opera La Bohème et Rigoletto). Sa version du personnage, loin du poncif d’ingénue habituel, est ouvertement espiègle et à la limite du bouffon durant I feel pretty. Le timbre est clair mais légèrement voilé dans les aigus, la tessiture large, le vibrato ample et l’articulation toujours impeccable. Le deuxième acte lui permet de montrer l’ampleur de ses qualités de tragédienne.
Le Tony de Jadon Webster a quant à lui des allures un peu gauches, amplifiées par les expressions faciales appuyées du protagoniste durant les dialogues. Il impressionne toutefois par son vibrato parfaitement dosé ainsi que sa très bonne mise en place rythmique. La longueur de phrasé toujours juste vient sertir un timbre velouté, y compris dans les aigus. Son Something’s coming aurait toutefois pu bénéficier de davantage de dynamisme dans les attaques et la danse du Cha-cha du premier acte laisse l’impression d’un artiste davantage vocal que rompu à la triple exigence du music-hall. À l’inverse, les voyelles longues de la fin de Maria sont tenues sans exubérance ou puissance outrancière. Dans le dernier tableau, il peine cependant à convaincre en amoureux dévasté par la rage. Si la synchronisation avec Maria est toujours très bonne, il tend parfois à être légèrement éclipsé par cette dernière.
Kyra Sorce doit quant à elle faire face au rôle le plus exigeant de l'œuvre avec Anita, puisque ce dernier implique une chorégraphie vertigineuse, des numéros vocaux conséquents ainsi qu’une amplitude dramatique redoutable. Danseuse de formation, les aspects chorégraphiques ne lui posent guère de problème quand bien même certains grands jetés auraient pu bénéficier de davantage d’amplitude. Le vibrato est intense, la tessiture légère et, l’intensité dramatique, tant dans la tentation et la douleur que la furie, toujours constantes. La bonne projection sur les voyelles longues souffre toutefois de quelques attaques par en dessous ainsi que d’un manque de justesse dans A boy like that.
En Riff, Taylor Harley doit relever un défi similaire. Familier du rôle -c’est la dixième production de West Side Story à laquelle il participe-, la chorégraphie d’ouverture ne lui pose guère de problème quand bien même les interprétations en sont d’habitude plus aériennes. Il manque parfois de dynamisme dans certaines attaques et souffre d'un très léger retard sur les tempi. Dès le début cependant, la tessiture légère, le vibrato très discret ainsi que la nasalité accentuée l’impose comme un archétype vocal pour le rôle. Par la suite, la clarté du timbre, la projection ainsi que la mise en place rythmique demeurent à des niveaux optimaux.
L’ensemble forme une troupe cohérente et équilibrée tant en chant qu’en danse. Sans être particulièrement flamboyante dans l’exécution de la chorégraphie de Robbins, aucun faux pas ou approximation n’est à déplorer. Il en est de même musicalement et si les chœurs tendent à être légèrement recouverts par l’orchestre lors d’un ou deux forte, leur prestation n’entraîne guère de réserve -en dehors des quarante premières secondes de Tonight, qui auraient pu bénéficier de davantage de précision.
L’intégralité des artistes étant amplifiés, le travail de sonorisation des ingénieurs du son maintient une balance constante, sans le moindre incident.
Sous la baguette de Grant Sturiale, l’orchestre -composé pour sa quasi totalité de musiciens d’outre-Atlantique-, livre une prestation à la fois féline et marquée, tout en relief avec une très bonne utilisation du silence -à l’exception des deux premiers dans la séquence d’ouverture, sensiblement trop longs. Les trois premières mesures de The rumble sont certes moins précises, mais la capacité à savamment doser le crescendo tout en distillant savamment l’adrénaline dans Tonight est remarquée.
Des applaudissements bruyants viennent saluer chaque numéro musical (dans une soirée également ponctuée par quelques sorties, discussions et lumières de téléphones plus nombreuses qu'à l'accoutumée). La majorité du parterre n’hésite pas à se lever lors des saluts, plaçant cette série sous de forts bons auspices et rappelant que le Châtelet a toujours un public bien américanophile.