Netrebko en VO à la Philharmonie de Paris
Aux premières notes du récital, frappe ce qui a fait la réputation internationale de la soprano : ce son résonnant, chaud, à la fois doré et sombre dans le medium, brillant et laiteux dans l’aigu. La voix emplit la grande salle Pierre Boulez de la Philharmonie avec une facilité déconcertante, enveloppant le spectateur de tous les côtés à la fois. Le son gagne encore en liberté au fil de la soirée, avec ce medium plein de saveur, porté par un air généreux, qui s’ouvre par moments sur des graves poitrinés et amples. Cependant, toute cette matière du centre, gagnée dans la fréquentation de répertoires plus dramatiques, leste parfois l’instrument dans l’aigu : la soprano allège alors avec des piani brillants ou bien se lance à l’assaut des hauteurs à pleine voix, avec une vaillance qui impressionne mais qui coûte désormais davantage à son souffle et où le son s’élargit.
Car le public comprend vite que la soprano vit le récital comme un opéra : sans partition, elle met en scène chaque mélodie. Profitant de l’acoustique, la chanteuse ose se retourner, arpenter la scène en tous sens, illustrant les poèmes de soupirs, de baisers, ou de pas de danse. Soucieuse des mots qu’elle colore avec soin (elle commence d’ailleurs la soirée en déclamant un poème), la chanteuse fait de la première partie consacrée à Rimski-Korsakov un opéra miniature souvent chargé d’effluves érotiques (“Au royaume de la rose et du vin”) voire orientaux (Chanson de Zuléika).
Un art de la séduction presque trop séducteur, à l’image de ces gestes étudiés, esthétiques plus que réellement investis, ou de cette ligne vocale qui s’étire à l’infini sur le piano de Pavel Nebolsin, lumineux et souple mais un peu trop discret (le couvercle de l’instrument aurait probablement dû être davantage ouvert).
Le début de la deuxième partie, consacré à Rachmaninov, trouve déjà d’autres accents, de l’ironie qui manquait un peu ou une mélancolie plus simple. Mais c’est avec Tchaïkovski qu’Anna Netrebko se révèle : se déplaçant moins, affrontant une écriture exigeante, elle se donne toute entière dans les textes sombres et tragiques choisis par le compositeur. L’émotion arrive dans C’était au début du printemps ou dans ces Nuits de folie, nuits blanches qui voient la comédienne se frapper la tête de douleur.
Il faut dire que la densité de l’écriture pianistique de Tchaïkovski rétablit un équilibre acoustique plus convaincant entre l’instrument et la voix. Pavel Nebolsin, toujours attentif et soutenant la chanteuse, peut même montrer sa virtuosité dans Que règne le jour impressionnant de maîtrise et d’intensité.
En total accord les deux musiciens donnent un bis, extrait de Francesca da Rimini de Rachmaninov, qui fait se lever de leur fauteuil les spectateurs visiblement séduits par une diva toujours plus libre et rayonnante sur scène.