Le Festin de Balthazar à la Philharmonie de Paris
Le fastueux oratorio de Walton fait une entrée fracassante au répertoire de l’Orchestre de Paris. Cet oratorio, Belshazzar’s feast demeure l’œuvre certainement la plus connue du compositeur William Walton (1902-1983). Elle occulte du moins en France le reste de ses compositions pourtant abondantes. Créé à Leeds en 1931 sous la baguette de Malcolm Sargent, l’ouvrage fut accueilli dès l’origine avec enthousiasme par le public anglais. En effet, composé sur un livret d’Osbert Sitwell inspiré du Livre de Daniel et du Psaume 137, cet oratorio d’une durée de 40 minutes environ renoue avec la grande tradition des œuvres religieuses vocales issues de la production Haendélienne ou celle d’Edward Elgar, si chères au cœur des mélomanes d’outre-manche. Il relate le combat fantastique qui oppose le peuple Juif prisonnier à Babylone et le tyran Balthazar qui les retient en otage et festoie. Dieu précipitera la perte de Balthazar au cours d’un dîner ruisselant d’or et de faste. Pour évoquer cet épisode biblique, William Walton fait appel à un orchestre pléthorique où les cuivres et les fanfares sont démultipliées, mais aussi à un chœur grandiose, ponctuant le tout par l’intervention d’un baryton soliste. L’efficacité et le réalisme dramatique marquent cette vaste composition qui par sa puissance fait ce soir encore presque trembler les murs.
Déployant une énergie communicative et ponctuée d’aucune pause, quitte à mettre les nerfs un peu à l’épreuve, Klaus Mäkelä prend à bras le corps cet ouvrage qui ne vise pas la séduction : versant vers l’amplification, la démonstration et frappant par son recours à plusieurs moments à l’atonalité et même au jazz. Les trois « personnages » qui interviennent -l’orchestre, le chœur, le soliste- s’imposent soit tour à tour, soit en totale complémentarité. L’Orchestre de Paris ruisselle sous sa baguette et déploie une éloquente cohésion d’ensemble, les parties solo se trouvant pleinement exploitées. La dimension épique prend tout de même le pas sur l’émotion qui gagnerait à plus sereinement se dégager. Il faut plutôt rechercher cet aspect des choses au sein des interventions du baryton-basse Sir Willard White, qui interprète la partie solo de cet oratorio depuis plusieurs décennies désormais. Outre sa longévité professionnelle d’exception, sa voix a conservé une pleine-puissance, moins brillante qu’autrefois certes, mais toujours aussi timbrée, riche en harmoniques, aux inflexions presque sauvages ici. Sa saisissante intervention a cappella au début de la seconde partie, lorsque le soliste évoque la Babylone florissante, foudroie justement le public de la Philharmonie avec un charisme qui ne semble pas avoir pris une ride.
Le Chœur de l’Orchestre de Paris (préparé par leur binôme de directeurs actuels Marc Korovitch et Ingrid Roose) et celui de la Cambridge University Symphony (par celui qui prendra bientôt la direction du Chœur de l’Orchestre de Paris : Richard Wilberforce), s’élèvent à la hauteur de la tâche exigée, par leur vaillance qui jamais ne semble faiblir. Ces deux entités réunies composent un peuple d’Israël louant avec force et harmonie le Dieu libérateur.
La liberté de ton était déjà traduite par Klaus Mäkelä, avec une démesure presque excessive, dans la première partie du concert mettait avant cela en relief l’amitié et l’estime que se portaient Dmitri Chostakovitch et Mstislav Rostropovitch. Ce dernier a dirigé la création à Londres en 1988 de la Suite pour orchestre de variété n°1 et créé le redoutable Concerto pour violoncelle n°2 à Moscou en 1966 dans le cadre des célébrations marquant le 60ème anniversaire du compositeur. La suite pour orchestre de variété apparaît comme festive en premier lieu, mêlant des compositions antérieures de Chostakovitch comme des musiques de film, de scènes et de ballets. Ces 8 numéros successifs sont marqués par une opulence d’inspiration et le rendu du détail fait ici défaut, au détriment de la majesté de cette musique qui se veut tout de même populaire. Sol Gabetta pour sa part s’empare du Concerto pour Violoncelle avec un art consommé et cette sonorité lumineuse et chatoyante qui imprègne toutes ses interprétations. Mais les arcanes, les profondeurs et la largesse d’interprétation de cette pièce musicale conçue pour les sonorités spécifiques de Rostropovitch semblent ici un peu reléguées au second plan. Son bis, par contre, soit la Berceuse Nana extrait de la Suite Populaire espagnole n°2 de Manuel de Falla, interprétée avec l’appui du percussionniste solo et émérite de l’Orchestre de Paris Eric Sammut, s’impose comme un moment de grâce et d’expressivité.
Il paraît indéniable que le public parisien, réservant une vaste ovation au concert dans sa globalité, a désormais complètement adopté Klaus Mäkelä, sa fougueuse et renversante jeunesse.