Florissants Orphée et Eurydice de Gluck enchantent la Philharmonie
Pour sa première direction pleine et entière dans la grande salle Pierre Boulez de la Philharmonie de Paris, Paul Agnew (habitué de la Cité de la Musique voisine) choisit Orphée et Eurydice de Gluck jamais interprété par Les Arts Florissants en entier (et en français). La version concert proposée, soutenue par des lumières évocatrices (le rouge pour les enfers, le doré pour les Champs-Élysées), n’amoindrit en rien l’action dramatique investie par tous les acteurs en présence : trois solistes, un chœur et un orchestre en grand effectif.
Paul Agnew retient la version de Paris, une adaptation de la version italienne, au goût français de l’époque, dans laquelle Orphée est chanté, non plus par un castrat, mais par un haute-contre (ténor aigu). Ce soir, Reinoud Van Mechelen s’empare du rôle avec une sincérité touchante qui lui vaut une ovation du public au salut final. Ses premiers appels, alors qu’il pleure la mort de sa bien-aimée, sont désarmants de chagrin, sa voix apparaissant à la fois claire et puissante. Il assume la virtuosité de « L’espoir renaît dans mon âme » qu’il chante après avoir obtenu l’autorisation des Dieux d’aller chercher Eurydice aux enfers, sa joie s’exprimant en vocalises précises et détachées. Les furies et l’auditoire ne résistent pas à « Laissez-vous toucher par mes pleurs » tant son chant est imprégné d’authenticité et d’émotion sincère. C’est dans un équilibre constant qu’il s’engage dramatiquement comme par exemple lors du célèbre « J’ai perdu mon Eurydice » commencé dans la plainte et achevé dans une intensité dramatique contrôlée respectant l’expression simple de la mélodie.
Son Eurydice est interprétée par la soprano Ana Vieira Leite, récente lauréate du Jardin des Voix (tout comme Reinoud Van Mechelen quelques années auparavant). Elle apparaît à la fin du deuxième acte parmi les Ombres Heureuses ("Cet asile aimable et tranquille") et délivre un chant suave de sa voix arrondie au vibrato tranquille. Se croyant délaissée par Orphée qui refuse de la regarder (et pour cause !), elle exprime son désarroi par une projection sensible en préservant toutefois une certaine retenue qui affaiblit quelque peu sa détresse face au destin rigoureux.
La présence scénique de Julie Roset révèle l’énergie positive du Dieu Amour. Sa voix claire et souple est réconfortante. Si la soprano peine parfois à s’extraire du son de l’orchestre, ses interventions demeurant quelque peu confidentielles, son chant se révèle cependant pleinement lorsque le soutien est effectué par les cordes en pizzicati.
L’orchestre se présente en effet dans un grand effectif (la version parisienne incluant trombones et harpe) et, la présence d’anciens étudiants de la Juilliard School de New York ainsi que d’anciens stagiaires Arts Flo Junior au sein de ses rangs, démontre une fois de plus l’engagement de cet ensemble dans la formation des jeunes artistes. Paul Agnew appose sa marque assurément, ciselant le phrasé, impulsant une vive dynamique rythmique dans un rendu d’ensemble enthousiasmant. Il s’appuie sur une phalange d’experts pouvant tout aussi bien répondre au tempo torrentueux de la danse des furies qu’à la suavité pastorale régnant aux Champs-Élysées.
Le chef s’investit également pleinement dans son adresse au chœur qui lui répond dans une sonorité homogène et limpide. Les chanteurs valorisent le fait que Gluck accordait une grande importance au texte, en délivrant celui-ci précisément à l’aide de consonnes percutantes. L’ensemble émeut dans la déploration des bergers et impressionne dans la hargne des furies.
Cette première pour Paul Agnew est accueillie avec succès par les acclamations du public, traduisant l’exclamation de Jean-Jacques Rousseau au sujet de cet opéra : « Puisqu’on peut avoir un si grand plaisir pendant deux heures, je conçois que la vie soit bonne à quelque chose ».