La Flûte enchantée et en marionnettes à l’Opéra du Rhin
Metteur en scène de théâtre, comédien, mais aussi plasticien et marionnettiste, Johanny Bert aborde avec cette Flûte enchantée son premier opéra à la scène. Très vive et pleine de jolis instants, son approche renoue avec une forme populaire de l’ouvrage, parfaitement lisible par l’ensemble du public, des plus jeunes venus en nombre en cette première aux plus âgés.
Le rideau se lève sur les coulisses du spectacle et la salle de maquillage qui réunit l’ensemble des protagonistes. Du déjà vu certes, mais Johanny Bert anime l’ensemble avec une forme de délectation qui s’affirme tout au long de la représentation. Dès son entrée sur scène et au sein du monde secret de la Reine de la Nuit, l’armure rutilante de Tamino part en lambeaux, tandis que le gigantesque serpent se traduit par un vaste morceau de tissu animé avec virtuosité par trois marionnettistes qui, tout de noir vêtus, apparaissent invisibles aux yeux des spectateurs. Les Trois Dames surgissent depuis leur table de maquillage et se disputent avec âpreté tout en arrachant les vêtements de Tamino qui se retrouve bientôt en caleçon. Papageno, avec sa charrette pleine de fouillis, viendra heureusement à sa rescousse.

La Reine de la Nuit, cloîtrée depuis des années dans une chambre miteuse, a connu des jours meilleurs. Elle semble ressasser son passé glorieux auprès de Sarastro qu’elle a manifestement aidé à construire son royaume avant d’être rejetée. Son désespoir affiché et la haine accumulée fondent sa première intervention. Avec son survêtement usé et sa fausse fourrure, sa bouteille de whisky et ses cigarettes, le personnage ainsi dessiné apparaît bien loin de la flamboyante Reine de la Nuit habituelle. Mais le monde de Sarastro ne paraît pas en meilleur état, avec ses murs décatis et des initiés qui ne cessent de comploter dans le dos de leur souverain pour tenter de lui succéder. Celui-ci est incarné par une imposante et fascinante marionnette qui montre un Sarastro vieillard usé et cacochyme, aux portes de la mort et incapable de se déplacer sinon en fauteuil roulant. Il est constamment accompagné par la basse qui chante le rôle, tandis que la marionnette fort expressive en soi, issue de la grande tradition japonaise du bunkaru, est animée de quelques gestes encore glorieux par les trois marionnettistes. Le mimétisme vocal avec la basse est confondant de précision et d’harmonie.

Les deux actes recèlent encore de beaux et surprenants moments de théâtre allant du ballet délirant improvisé par Monostatos et ses sbires à l’écoute de l’irrésistible jeu de clochettes de Papageno ou les deux rencontres de Papageno et Papagena. Cette dernière sous son déguisement de vieille femme déborde d’énergie régénératrice et ose le grand écart avec succès. Devenue jeune femme et compagne de Papageno, à l’évocation de leur famille nombreuse, elle comme lui produisent avec fantaisie de nombreux œufs façon autruche, vite ramassés par les Trois Enfants. Les épreuves de l’eau et du feu sont parfaitement rendues de nouveau via des marionnettes, cette fois à fil toutes dorées et manipulées en vol, toujours avec une rare aisance, par deux intervenants qui gravitent dans le vide au-dessus de la scène. Au final, La Reine de la Nuit chassée et Sarastro parvenu au terme de son existence, Tamino et Pamina dominent désormais la situation et le Royaume qui va renaître et croître sous leur gouvernance éclairée.

Ce spectacle bienfaisant, qui ne recherche pas de nouvelles clés de lecture, touche par sa pertinence et l’intelligence globale de sa réalisation. Les décors très simples sont signés par Amandine Livet, les costumes inspirés et souvent contemporains ont été créés par Pétronille Salomé. Les lumières bénéficient du travail très élaboré de David Debrinay qui doit composer entre toutes les formes dramaturgiques utilisées par Johanny Bert.

Au niveau des interprètes, le public salue tout d’abord et sans réserve le travail effectué par les marionnettistes Valentin Arnoux, Chine Curchod et Faustine Lancel. La distribution vocale est dominée par le puissant Sarastro de la basse danoise Nicolai Elsberg. Ce dernier dispose d’une voix imposante, puissamment dirigée et timbrée, mise au service d’une ligne de chant particulièrement soignée, très expressive et dotée de graves profonds. Sa haute silhouette près de sa marionnette en impose.

Svetlana Moskalenko campe une Reine de la Nuit aux moyens faciles, aux aigus dardés et aux vocalises hardiment maîtrisées. Toutefois, le timbre un rien métallique surprend et le vibrato s’élargit un peu trop à certains moments. Le ténor américain Eric Ferring campe un Tamino attachant. La projection vocale est probante, établie et la souplesse attendue paraît bien au rendez-vous. Il manque toutefois comme une flamme supplémentaire à sa prestation pour pleinement l’illuminer. Sa Pamina, Lenneke Ruiten séduit par la franchise de sa voix de soprano qui allie largeur et investissement dans le rôle. Un peu plus de nuances et de diversité de timbre seraient cependant les bienvenues, même si son interprétation de l’air sublime “Ach, ich fühl's”, un peu immédiate toutefois mais disposant de piani soignés, a tout pour plaire.

Le baryton Huw Montague Rendall connaît son Papageno sur le bout des doigts et son aisance scénique traduit une expérience toujours renouvelée, encore tout récemment à l’Opéra Bastille lors de la reprise de l’ouvrage en début de saison dans la mise en scène de Robert Carsen. La voix s’impose par l’aisance de son émission, sa portée en salle et sa ductilité qui convient sans conteste au rôle dont il ne fait qu’une bouchée. Il trouve en sa partenaire en Pagagena, Elisabeth Boudreault, un double imparable. La voix est ravissante, colorée. Leurs duos du deuxième acte font un effet irrésistible.

Peter Kirk compose un Monostatos particulièrement libidineux et empli de traîtrise. Sa voix de ténor un peu sourde mais au timbre très accrocheur donne sa juste dimension au personnage. Le trio des Trois Dames est empli d’une juste joie. Julie Goussot fait valoir en Première Dame un soprano de belle allure, aux aigus percutants. Eugénie Joneau (ancienne membre du Studio maison et Révélation Lyrique des dernières Victoires de la Musique Classique) dispose d’une voix de mezzo-soprano assez longue et bien timbrée, débordant d’énergie dans son incarnation de la Deuxième Dame. Un peu plus en retrait, la mezzo-soprano chinoise Liying Yang, qui a rejoint l'année dernière l’Opéra Studio de l’Opéra du Rhin, se distingue par une couleur de voix bien ancrée et assez caractérisée.

Le baryton Manuel Walser, pour sa part, donne du caractère à l’Orateur et déploie des moyens solides et affirmés. Le ténor Iannis Gaussin et le baryton Oleg Volkov, tous deux membres de l’Opéra Studio, campent les deux ministres, le premier révélant une voix encore légère mais touchante, le second des moyens plus affirmés. Les Chœurs de l’Opéra National du Rhin montrent la mise en place précise travaillée sous la conduite avisée de leur tout nouveau chef, Hendrik Haas qui a pris ses fonctions le mois dernier venant de Stuttgart. Le chef d’orchestre Andreas Spering a déjà précédemment dirigé deux autres ouvrages de Mozart à l’Opéra du Rhin (La Clémence de Titus en 2015 et Don Giovanni en 2019). Sa direction de l’ouverture de La Flûte enchantée s’avère un peu trop cadrée et stricte. Passée cette partie, placé à la tête de l’Orchestre Symphonique de Mulhouse, il arrondit délibérément les angles avec un vrai souci des pulsations de la musique de Mozart, de ses multiples nuances et impose un raffinement plus sensible. Une longue ovation de la part du public présent (la salle affichant complet) vient saluer le spectacle. Compte-tenu du nombre de représentations prévues (11 au total) se répartissant entre Strasbourg et Mulhouse, une seconde distribution concernant les rôles principaux réunit notamment Marie-Eve Munger en Reine de la nuit, Hélène Carpentier en Pamina, Trystan Llyr Griffiths en Tamino et Michael Borth en Papageno (compte-rendu à suivre ultérieurement sur Ôlyrix).