Robert le cochon sauve Mercibocou le loup avec Nouille la grenouille à l'Opéra Comique
Robert le cochon et Nouille la grenouille sauvent Mercibocou le loup, capturé par Louyaplu le tueur de loups sur ordre de Trashella la reine des poubelles.
Cette histoire typique des contes de fées, ici jouée et chantée, s'amuse à transformer les méchants en gentils et c'est la proie qui sauve son prédateur (même si Mercibocou le loup a tout de même bien envie de goûter un morceau du jambon de Robert qui vient de le sauver, il se fait une raison et les deux finissent copains comme cochons).
Les noms des personnages propices à toutes les rimes, jeux de mots et quiproquos, annoncent d'emblée la couleur du spectacle, tout comme la scénographie et les costumes intégraux de Paul Cox (avec des masques-casques qui cachent jusqu'au visage des interprètes lorsqu'ils baissent la tête : a fortiori vu du balcon, ils sont pleinement des animaux animés). Le plateau sombre et enfumé s'éclaire pour dévoiler un fond de scène comme dessiné dans un livre de conte, derrière des piles de rebuts alignés et multicolores (nous sommes au royaume de Trashella qui règne sur ses piles d'écrans, de pots de fleurs, de niches et de sacs poubelle). Trashella fait donc capturer Mercibocou car il ose utiliser des déchets pour fabriquer avec Nouille la grenouille une fusée (qui ira aussi vite que la lumière... parce qu'elle aura de la lumière à l’intérieur).
Perché sur son arbre côté Jardin, Vieux Hibou domine cette histoire et cette scénographie d'autant qu'il est très utile pour présenter les personnages et narrer les événements qui se bousculent. Son chouette interprète Damien Bouvet (qui incarne également Ferdinand, gardien muet du dépotoir mais non moins bourru dans ses borborygmes) ramène le silence et l'attention du jeune public de sa voix de conteur, cendrée comme le plumage de son ramage.
Les épisodes s'enchaînent en effet avec une vitesse soutenue, tout comme les références musicales de la partition interprétée par Les Frivolités Parisiennes sous la direction ronde et dynamique de Marc-Olivier Dupin. Mais si la fosse convoque avec dynamisme toute cette farandole de rythmes de danses et de gammes exotiques (tout en utilisant une vaste gamme de timbres instrumentaux), elle doit, pour suivre la cadence, imprimer avec force ses phrasés et ses rythmes quitte à couvrir le plateau. De fait, les solistes sur scène sont peu audibles dans le médium chanté, qui sert justement beaucoup à véhiculer les paroles (qui auraient été bien utiles pour conserver l'attention du public sur cette histoire enchaînant et emboitant différentes péripéties croisées). Heureusement, ces artistes sont très investis dans le jeu théâtral (cet opéra-comique enchaîne par définition parlé et chanté) et ils déploient aussi chacun une caractéristique typique de leur vocalité, ainsi que des accents les faisant surgir des ensembles.
Sahy Ratia, par la magie des changements de rôles et de costumes qui le rendent méconnaissable, incarne tour à tour le tueur et le sauveur de loup : Louyaplu et Robert. Les deux personnages se confondent néanmoins tant la voix du ténor est reconnaissable. Le volume n'est pas des plus sonores (lorsque ses personnages triomphent, la puissance s'accroît mais la voix est nettement engorgée). Il reste néanmoins dynamique sur tout l'ambitus, avec des résonances claires et un timbre doux (qui ne correspondent pas du tout au personnage de méchant chasseur qu'il incarne, mais qui en font un délicieux cochon, doux comme un agneau ou plutôt ici comme un loup).
Mercibocou est en effet un "p'tit loup" qui, prisonnier, appelle sa maman. Son "ahou" à la lune est ici un pleur. Christophe Gay sait lui dessiner ce caractère mais tout en montrant que la nature peut revenir au galop : sous le pelage du phrasé, un timbre corsé montre parfois les crocs.
Nouille la grenouille a la voix bondissant vers les aigus de la soprano colorature et colorée Faustine de Monès. Elle bondit tellement qu'elle incarne aussi la lune, descendant des cintres. Engoncée dans ce dispositif, la lune est ici pleine mais la voix ne l'est plus (malgré un vibrato rapide et des aigus piquants) pour la chanteuse installée afin de ne montrer que son visage et ses bras.
Marie-Andrée Bouchard-Lesieur incarne Trashella (rappelant Cruella), propriétaire du dépotoir, terrible reine des poubelles menaçant de sa voix parlée-chantée d'ogresse (avec un accent germanique). Récemment nommée aux Victoires de la Musique Classique, la mezzo déploie ici un tout autre registre mais sachant tirer profit de son investissement théâtral et de sa grande agilité vocale pour s'élancer vers des aigus puissants (tandis que le reste de la tessiture reste en retrait), tout en swinguant parmi les déchets : elle est assurément la poubelle pour aller danser.
Tout est bien qui finit bien dans cette histoire et pour ce spectacle : les petits chuchotements discrets mais constants ayant accompagné ce début d'après-midi (les jeunes spectateurs en herbe posant des questions pour tenter de bien comprendre ou bien se résolvant à ne pas tout suivre) se transforment en applaudissements adressés à tous les artistes aux saluts.