L'Opéra Garnier résonne pour la paix
L'Orchestre de l'Opéra National de Paris, imprégné de l'émotion régnant dans la salle, déploie un toucher accompli dans les épisodes symphoniques aussi bien que pour accompagner les voix et les corps : le tout dégageant un sentiment apaisé, au service d'un message de paix. Avec une grande expressivité, portée par la tenue legato et la précision staccato, les musiciens suivent chaque changement d'intensité indiqué avec précision par le chef.
Le tragique n'en est pas moins présent, avec le fatidique mais aussi tendre "Casta diva" (Norma de Bellini), ainsi que l'appel "Pace, pace mio Dio" (La Forza del destino de Verdi) chantés par la soprano ukrainienne Liudmyla Monastyrska d'une voix centrée, ronde, pleine d'émotion, légère dans les aigus, dramatique dans le medium. Les phrases musicales sont portées par une tenue de souffle et des paroles clairement articulées. Ce répertoire obtient la grande puissance de cette voix (surtout dans les aigus) mais aussi une douceur complétant la palette dans l'esprit de ce compositeur. Vêtue d'une robe violette puis verte comme l'espoir, la soprano récolte force "brava" d'une salle visiblement très émue.
Emanuela Pascu, mezzo-soprano roumaine, chante avec une technique assurée, beaucoup de fierté et de détermination dans sa tenue de souffle une mélodie du compositeur russe Serguei Rachmaninov, accompagnée par Olga Dubynska (jeune pianiste à l'interprétation intense et vigoureuse). Marie-Andrée Bouchard-Lesieur, récente académicienne également et nommée aux Victoires de la Musique Classique, offre son mezzo clair et juste au Träume (Rêve) de Richard Wagner, sa palette technique se déployant à travers son registre (estompant la légère pointe de timidité initiale).
Le baryton canadien Russell Braun affiche une voix chaude et corsée, maîtrisant l'articulation du phrasé musical au service d'une mélodie du compositeur ukrainien Kyrylo Stetsenko (1882-1922) tandis que le ténor britannique de mère et ukrainien de père John Daszak entonne la chanson traditionnelle ukrainienne Rèvè ta stog'nè Dnipr chyrokyï avec sa voix aux multiples facettes, encore un peu froide dans les aigus, mais malléable et ductile en duo dans toute sa tessiture.
Le ballet laisse d'abord briller ce soir à Garnier un duo ukrainien, celui formé par les virtuosités techniques de Katerina Kukhar et Alexander Stoyanov dans la Suite de Carmen en pas de deux. La danseuse étoile Dorothée Gilbert offre pour sa part La Mort du Cygne (musique de Saint-Saëns, chorégraphie de Serge Lifar) d'une svelte délicatesse contrastant avec sa force énergique. Dans la touchante chorégraphie d'Alastair Marriott, le Clair de lune de Claude Debussy propose l'intimisme agile, précis et sensuel de Mathieu Ganio, ses pas suivant le rythme pressant de la mélodie, son corps glissant gracieusement et avec puissance sur les notes. Marion Barbeau et Simon Le Borgne font montre de leur technique avec Body and Soul tandis qu'Alice Renavand et Stéphane Bullion sont acclamés pour l'onirique Parc de Preljocaj et Mozart.
Enfin, le chœur touchant et raffiné de l'Opéra, dirigé par Ching-Lien Wu, déploie avec sérénité sa justesse et sa puissance (les altos étant certes parfois un peu en retrait). La précision s'allie au lyrisme pour le fameux "Va pensiero" (extrait du Nabucco de Verdi) : un hymne à la liberté.
Le public, ému, se lève pour applaudir plus vigoureusement encore les interprètes qui entrent en scène avec le drapeau de l'Ukraine. L'Opéra Garnier, ce soir, a résonné pour la paix.
