Ignace, benêt malicieux à l'Odéon de Marseille
La mise en scène dynamique de Carole Clin évoque les débuts du cinéma. Après quelques roulements de tambour et les trois coups rituels en guise de seule "ouverture instrumentale", le rideau se lève sur les chanteurs, figés comme des statues, dans un jardin obscur. Au fond, un écran évoque le cinéma muet en proposant un générique en noir et blanc, accompagné par du piano, des percussions et quelques phrases de violon.
La colonelle Durozier interprétée par Danièle Dinant affirme son autorité dès les premières minutes, avec beaucoup de texte parlé et de courtes interventions vocales. Sa voix au médium rond et solide donne des conseils “pour être une ordonnance”, avec une diction précise.
Vincent Gilliéron, ordonnance du colonel, incarne le rôle-titre d’Ignace Boitaclou et chante l’air attendu par le public : “Ignace est un petit nom charmant”, d’une voix souple au médium timbré et nuancé, avec une diction irréprochable. Ce benêt, malicieux, est toujours présent pour assister aux échanges libertins des différents protagonistes, mais il respecte la consigne : “tout voir, tout entendre, ne rien dire.”
Marion Préïté est Annette, la domestique de la famille Durozier. Elle intervient avec une voix agile, au timbre brillant, aux aigus légers et nuancés rendant son texte compréhensible. Son maître, le colonel Durozier, est incarné par Philippe Ermelier, dont la voix ample au timbre chaud, à la diction modèle, confère toute l’autorité nécessaire à sa fonction.
Jean-Luc Epitalon interprète un ami de la famille : le capitaine Boisdelisle. Il joue de sa voix profonde, au phrasé soigné, à l’émission claire et aux paroles intelligibles, pour séduire Monique, la nièce du colonel Durozier. Agnès Pat’ présente cette Monique séductrice derechef, chantant avec netteté le flou conjugal qui la lie à “un mari”, d’une voix fruitée et souple, avec des aigus légers. Dans le duo : “je n’aime que vous”, sa ligne vocale se mêle de façon harmonieuse et équilibrée à celle de Serge de Montroc, son amoureux (auquel Alfred Bironien, chantant “pour faire un bon avocat”, prête sa voix de ténor brillante, à l’émission haut placée, nantie aussi d'une excellente diction).
Jean-Claude Calon, le baron des Orfrais est un soupirant de la colonelle Durozier. Son timbre large rend le texte expressif, grâce à une ligne vocale bien articulée. Il est surnommé Chouchouille par Loulette, une ancienne maîtresse, danseuse de music-hall : en l'occurrence Julie Morgane avec sa voix projetée au timbre lumineux qui exprime tantôt la colère, tantôt la séduction, le tout avec un accent parisien évoquant Arletty dans Hôtel du Nord ("Atmosphère, Atmosphère").
Dans cette mise en scène dynamique, les huit danseuses et danseurs participent fréquemment, avec une parfaite synchronisation. Costumés en domestiques, mexicains, danseuses de music-hall, ils chantent aussi avec justesse, un texte bien articulé, mais sont bien soutenus par les solistes.
L’accompagnement instrumental est toujours présent, avec efficacité, rigueur et une rythmique particulièrement tonique. La fosse d’orchestre, réduite, possède deux pianos droits (symboles du cinéma muet), joués avec virtuosité par André Mornet et Christian Mornet. Ils dirigent quatre musiciens, qui jouent de la contrebasse, des percussions variées et deux synthétiseurs. Ces derniers permettent de restituer des sons pré-enregistrés, aux nuances diverses, imitant les timbres du violon, de l’accordéon…et même du célesta. Ces mélodies réservent bien des surprises durant l’opérette, se mêlant habilement aux instruments présents.
Un finale échevelé utilise à nouveau le thème d’Ignace. Le public de l’Odéon scande les dernières mesures en frappant dans les mains. Les artistes, enchantés, sont ovationnés, dans une liesse collective et reprennent de nombreuses fois ce motif final. Le public marseillais sort heureux de l’Odéon, oubliant un moment le lourd contexte politique actuel.