Molière et Charpentier : l'art des Correspondances à l’Auditorium du Louvre
L’Ensemble Correspondances met à l'honneur Molière (en cette année marquant son 400ème anniversaire) et Marc-Antoine Charpentier vers lequel se tourna l'auteur après la brouille avec Lully. Ce dernier ayant conservé le privilège royal de surintendant de la musique, il ne laisse à son rival Charpentier "que" la forme des intermèdes chargés de divertir les spectateurs entre les actes de comédies de la troupe des Comédiens Français. L'Ensemble Correspondances joue ainsi Le Mariage forcé et Le Malade imaginaire, eux-mêmes entrecoupés par Les Plaisirs de Versailles, un divertissement (dont l’auteur du livret reste inconnu) à l’occasion de l’inauguration des nouveaux appartements du Roi-Soleil.
Le comédien Soufiane Guerraoui, narrateur principal du programme tel un barde hors-temps, vient réciter ou slamer les textes de Molière, en ajoutant ses propres intermèdes de conversation avec le public. Il apporte l’esprit de bateleur, de commedia dell'arte qui inspira tant Molière.
Sébastien Daucé dirige debout, souplement arqué comme un grand archet, depuis l’un des deux clavecins (avec Mathieu Valfré) formant le centre de l’ensemble instrumental. Ses gestes sont amples dans les parties majestueuses à l’écriture verticale, et se font serrés dans les parties fuguées, où les lignes se succèdent rapidement en imitation. Il se détache de la phalange, acoustiquement, le sirop d’ambre de la petite harmonie : les flûtes de Lucile Perret et Matthieu Bertaud, le hautbois de Johanne Maître, le basson de Mélanie Flahaut. Le tapis crépitant des cordes frottées ou pincées, du théorbe aux violons, en passant par les violes de gambe, produit avec les vents une pâte légère ou fondante, traversée par un battement souple et vital, qui jamais ne se laisse enfermer dans une carrure symétrique.
Le trio masculin (haute-contre Clément Debieuvre, basse-taille Étienne Bazola, et basse Maxime Saïu) s’exprime comme un seul instrument ou en soliste, en expérimentant divers modes de chant, du plus nasillard au plus gorgé de timbre. Ils jouent des contrastes vocaux et même scéniques de leurs instruments en mimant ou grimant tel ou tel personnage grotesque d’un théâtre de tréteau.
Un trio féminin de dessus, Caroline Weynants, Élodie Fonnard (qui remplace Caroline Bardot) et Eugénie Lefebvre leur donne la réplique, selon diverses combinaisons chorales ou solistes, avec des timbres nacrés et pailletés à l’aide d’un vibrato serré, légèrement électrique, mais qui ne se perd pas pour autant dans l’éther. Elles sont ancrées sur l'aplomb vocal marbré du bas-dessus Blandine De Sansal, très applaudie.
Tous les chanteurs ont en partage une capacité à puiser dans leur longueur de souffle, pour restituer la prosodie du compositeur, en un zéphyr. Charpentier se plaît à prolonger les fins de phrases, à rendre sa musique élastique et libre, alors qu’elle est minutieusement scandée par des consonnes sifflantes, rendues parfaitement synchrones, ou en rapide tuilage, par un groupe de chanteurs rompus à sa manière.
Le public venu nombreux écoute la musique, tout en lisant les paroles, programme en main. Il prend visiblement plaisir, en tournant les pages, à écouter, voir, lire et imaginer cette musique théâtrale et mélodieuse. Les applaudissements résonnent haut et fort, comme pour répondre en miroir aux forces du théâtre et de la musique, formant une petite forêt d'hommages aux pastorales de l'époque.