Hervé Niquet et Le Concert Spirituel chassent les ténèbres à la Sainte-Chapelle
À quelques jours de Pâques, c’est sur les Leçons de Ténèbres de Couperin que commence le Festival de la Sainte-Chapelle, avec une interprétation audacieuse proposée par Hervé Niquet : faire chanter, non à une ou à deux (pour la dernière) les Leçons, mais à sept ! En effet, explique-t-il dans son adresse au public, ces Leçons (dont le but était dans la liturgie catholique du XVIIe siècle, de chasser la nuit dans les églises jusqu’au Vendredi Saint) ont été composées pour des chanteuses de l’Opéra (qui ne pouvaient pas chanter en ces temps sacrés) et le défi, ce soir, sera de les reprendre en chœur – cela parce qu’on sait, par des documents d’époque, que ces parties vocales pouvaient également être chantées à l’unisson, par un chœur de moniales. Comme dans l’office de la Semaine sainte du XVIIe siècle, chaque leçon est entrecoupée par un Répons de Charpentier, et d’un court moment instrumental.
C’est avec grand soin que le Chœur du Concert Spirituel s’engage dans cette reprise de Couperin. Pour les deux premières Leçons, les chanteuses sont entièrement à l’unisson, formant une seule et même voix qui s’engage avec intensité dans la musique. Ce qui frappe d’abord est le travail à la fois d’équilibre et de souplesse du chœur, qui s’approprie avec précision la vocalité d’une seule cantatrice. Cela est rendu d’autant plus flagrant que l’acoustique permet d'entendre presque chacune des voix, formant un ensemble à la fois détaché et entièrement uni. L’équilibre est également de mise au niveau des timbres (le chœur est divisé en deux groupes de sopranos), même si les premières sopranos sont beaucoup plus tranchantes et saillantes dans des aigus plus lumineux. Le second groupe de sopranos propose un ensemble de voix plus chaudes, elles aussi assez claires, dans un contraste balancé. Enfin, le dynamisme, important dans ce travail d’adresse vocale, est également à souligner.
Le Chœur est accompagné de l’Orchestre, assez en retrait, mais lequel a également droit à ses moments d’éclat dans les brèves parties instrumentales reprises de Jacques-François Lochon (Tuere nos mortales) et Louis Chein (Missa pro defunctis – Introït). Il présente lui aussi un travail de précision tout en fluidité, ainsi qu’une certaine délicatesse.
Hervé Niquet, enfin, dirige l’ensemble avec une grande rigueur géométrique, veillant à ne rien laisser échapper afin que l’exercice soit de la plus grande netteté. Il encadre ainsi la musique, presque sévèrement, sans pour autant la rigidifier, laissant les effluves sacrées des Leçons envahir petit à petit la chapelle.
Le public remercie d’applaudissements chaleureux les artistes et le concert s’achève sur le Miserere de Delalande, interprété avec une aisance désormais acquise, qui clôt cette soirée liturgique à la Sainte-Chapelle.