Berlioz en liberté : Symphonie fantastique et Lélio à la Philharmonie de Paris
Tugan Sokhiev dirige son orchestre, celui du Capitole de Toulouse et cela se ressent, particulièrement dans cette première partie consacrée à La Symphonie fantastique. Le chef fait confiance à ses musiciens, probablement habitués à ce classique des concerts symphoniques, mais surtout il phrase la musique par ses gestes et tout son corps, dans une danse parfois étonnante. Il semble par moment davantage accompagner le son que diriger, sans que l’orchestre ne se décale. Néanmoins, malgré l’attention du chef aux équilibres des pupitres, la petite harmonie a parfois du mal à se faire entendre dans les premiers mouvements face à l’ivresse sonore des cordes. Tugan Sokhiev convainc finalement davantage dans la « Marche au supplice » par sa gestion énergique de la pulsation que dans la « Scène aux champs » un peu trop égale malgré le solo tout en legato du cor anglais qui ouvre le tableau.
Lélio ou le Retour à la vie, composé un an après le triomphe de la Symphonie fantastique, constitue une suite très surprenante des aventures du poète. Plus rarement donnée par les orchestres, l'œuvre est composite, originale et attachante. Berlioz se permet une rêverie autour de Shakespeare où se mêlent Hamlet, des réminiscences de comédies comme Beaucoup de Bruit pour rien (qui avait déjà inspiré Béatrice et Bénédict) et La Tempête. Tous ces épisodes font se succéder l’orchestre, un ténor, un baryton et un chœur, le tout lié par le texte que Berlioz confie à un comédien, à la fois didactique, profondément lyrique et ironique.
C’est à Lambert Wilson qu’incombe la responsabilité d’incarner le poète ce soir. Le comédien s’empare du texte avec sérieux, faisant du théâtre de ces quelques lignes et animant la scène de mouvements bienvenus. Il parvient à passer sans difficulté du pathos à la complicité ironique avec le public.
Du côté de l’orchestre, Tugan Sokhiev danse moins, sa battue se resserre : il faut dire qu’il doit gérer les inventions de Berlioz : la mélodie de format piano-chant qui passe à l’orchestre, les dialogues entre les solistes et le chœur ainsi que les différentes entrées des instruments. Le Chœur de l’Orfeón Donostiarra préparé par José Antonio Sáinz Alfaro déploie le glaçant « chœur des ombres », les voix trouvant des ressources de puissance impressionnantes et accordant aux mots terribles (“froid de la mort, nuit de la tombe”) un soin profondément expressif. De même le « chœur d’esprits de l’air » qui clôt l’œuvre rayonne et palpite, l’italien sonnant cependant avec moins de netteté que le français.
Mathias Vidal hérite de deux chansons, la première, celle du pêcheur, trouve en lui un timbre clair et rond mais léger : le texte, très articulé, finit par faire perdre du mordant à la projection, la ligne mélodique tortueuse devenant moins compréhensible. Il faut dire que Berlioz écrit là une page difficile : le ténor s’engage entièrement dans l’histoire qu’il raconte mais l'intensité donnée à chaque mot frôle la surcharge. Il semble plus à l’aise dans le « chant de bonheur », le phrasé plus évident permettant au timbre de devenir plus sonore et offrant aussi de fines nuances soutenues par la harpe. De son côté Vincent Le Texier n’a que quelques phrases pour faire entendre la truculence du brigand : la voix manque ce soir de netteté et paraît un peu instable mais la présence et le soin au texte permettent de faire exister un personnage en aussi peu de temps.
Le public applaudit cette soirée comme ayant rendu justice aux audaces de Berlioz, permettant d’admirer son art singulier et attachant.