“Be Classical” pas vraiment classique avec Tézier & Berthon salle Gaveau
A l’heure où le spectacle aurait dû commencer, le désordre règne encore dans le hall de la Salle Gaveau, une longue file de spectateurs attendant d’être placés. Que ce soit l’attente avant l’arrivée des solistes puis celle du chef entre les morceaux, le murmure constant d’une salle qui regarde ses téléphones, Ludovic Tézier qui annonce avoir oublié ses partitions chez lui et devoir suivre sur une tablette à laquelle il n’est pas habituée : rien ne semble se passer comme prévu. La promesse d'un concert qui sorte du classique est tenue : il règne une atmosphère de désorganisation générale qui n’est certes pas habituelle.
Le concept de cette série de récitals appelés "Be Classical" est le suivant : des concerts thématiques, accompagnés d'une mise en lumière, et interprétés par de grandes vedettes lyriques. Les lumières qui entourent la scène sont modulées selon les couleurs de la musique : elles contribuent parfois à l’atmosphère des morceaux, comme dans l’air de Suzanne qui se passe de nuit. Le spectateur, cependant, fixe le plus souvent sur les chanteurs, oubliant vite leur présence excepté dans les passages purement orchestraux. A l'inverse, elles produisent parfois un effet d'agacement par leurs clignotements ou leur tendance au pléonasme, à l'instar du rose qui redouble Le Spectre de la Rose (Berlioz).
La désorganisation constatée dès l'entrée en salle se ressent aussi dans la musique, qu’elle soit due à l'utilisation d'une tablette pour remplacer des partitions oubliées, à un manque de répétitions ou bien à la position du chef placé derrière les chanteurs : l’orchestre et les solistes ont du mal à s’accorder rythmiquement. Cela se ressent particulièrement dans les interventions de Cassandre Berthon : Le Spectre de la Rose est presque en constant décalage et l’orchestre doit rejouer les premières mesures de Sous le ciel de Paris (en bis) pour permettre à la chanteuse d’entrer au bon moment.
Le récital est manifestement construit selon le plaisir de Ludovic Tézier et de Cassandre Berthon, alternant Mozart, Poulenc, Berlioz, Duparc et Verdi. La soprano, épouse du baryton, semble un peu nerveuse dans ses airs solistes, et en retrait dans ses duos face à la voix si puissante de son mari. La voix de la soprano a pourtant des mérites à faire valoir : un legato qui se déploie avec grâce en Suzanne, un timbre lumineux, une prononciation expressive qui permet de goûter le texte des Chemins de l’Amour de Poulenc et une véritable sûreté technique. Le grave est toutefois un peu instable et l’aigu, dans les longues phrases, a tendance à se tendre et à durcir. Sa projection pâlit néanmoins, comme dans le duo d’Hamlet d’Ambroise Thomas, surtout comparée à celle de son époux manifestement au sommet de ses moyens.
Elle est rejointe par Marina Viotti pour la Barcarolle des Contes d'Hoffmann où la mezzo fait entendre un instrument souple et coloré, au timbre sombre donnant envie d’en entendre davantage. Ludovic Tézier est quant à lui rejoint par le ténor Jesse Mimeran, producteur et présentateur de la soirée, pour chanter brièvement un extrait de Don Carlos. Le timbre clair et rond du ténor n’a toutefois que peu de mordant : les consonnes ne sont pas projetées, ce qui rend le texte peu compréhensible. Mais ce sont surtout l’allure scénique pas très assurée et la projection trop mince qui le placent en retrait en comparaison de son partenaire.
Ludovic Tézier donne un sentiment de maîtrise (sauf avec sa tablette) qui contraste avec l’atmosphère générale du concert, offrant de très beaux moments comme L’Invitation au voyage de Duparc où chaque mot évoque une image, la voix sonore se déployant avec facilité jusqu’à l’aigu. Sa couleur sombre et chaude se reconnaît tout de suite, avec l’impression que le baryton cache derrière son nez un espace immense dans lequel chaque voyelle peut résonner librement. Guillaume Tell de Rossini (tragique “Sois immobile”) et la mort de Posa poignante fascinent le public, portés par un phrasé suprêmement élégant.
Mathieu Herzog dirige l’Ensemble Appassionato (avec notamment Marc Girard Garcia, violoncelle solo inspiré au son généreux) en effectif réduit, et pour lequel il a composé des arrangements. L’ensemble surprend dans l’ouverture des Noces de Figaro où le son global manque d’unité mais le chef réussit un Intermezzo de Manon Lescaut, intense et inspiré. Les orchestrations sont parfois étonnantes comme celle de L’Invitation au voyage qui transforme la mélodie en pièce quasi-contemporaine. Attentif aux chanteurs, Mathieu Herzog ne peut cependant éviter certains décalages.
Malgré la désorganisation de ce premier Be Classical, le public applaudit chaleureusement l’affabilité de Ludovic Tézier, attentif à tous ses partenaires, et l’élégance scénique de Cassandre Berthon.