Concert-conférence hommage à Christiane Eda-Pierre par les Voix des Outre-Mer
La conférence présentée par Richard Martet retrace de manière chronologique et en musique la carrière de Christiane Eda-Pierre : un voyage à travers le temps, les lieux et les répertoires, le voyage effectué par cette chanteuse de légende, depuis les évocations de sa jeunesse martiniquaise jusqu'à ses adieux à la scène et sa carrière de pédagogue tutélaire.

L'inoubliable cantatrice ayant effectué ses débuts professionnels en Leïla des Pêcheurs de perles à Nice (avec rien moins que Gabriel Bacquier), Patrizia Ciofi est invitée à en interpréter le récitatif et air "Me voilà seule dans la nuit... Comme autrefois". Le contraste est troublant entre cette voix à la carrière et à la voix déjà bien matures, pour incarner les débuts d'une jeune chanteuse qu'elle évoque ici néanmoins par la candeur du caractère, par des tenues et des aigus filés et vibrés (plus que par son médium blanchi).
Le parcours biographique et de la soirée se poursuit : Eda-Pierre fut Papagena au Festival d'Aix-en-Provence en 1959, les jeunes lauréats du Concours Voix des Outre-Mer Candice Albardier (jeune talent 2020) et Aslam Safla (Vainqueur 2020) viennent donc batifoler musicalement dans le duo aviaire. Les deux Réunionnais réunis restent sonores et placés, un peu moins dans les passages rapides mais sans perdre pour lui la largeur du timbre et pour elle la précision vibrée.

La mémorable Lakmé de Christiane Eda-Pierre, révélation au public parisien en alternance avec Mady Mesplé et suite au tragique décès de Mado Robin en 1960 est tressé comme une couronne de lauriers avec le Duo des Fleurs. Axelle Saint-Cirel (Prix encouragement 2021) déploie toute sa technique classique au placement impeccable de justesse, avec Clara Bellon (Finaliste 2019), voix fascinante pour son timbre et son articulation d'antan rappelant justement les artistes de l'époque de Christiane Eda-Pierre. Mais cette soprano colorature fascine également pour sa virtuosité nourrie, elle qui assume (strophes et ornements) l'air légendaire de la poupée Olympia "Les Oiseaux dans la Charmille", rappelant les prouesses de son illustre devancière qui pouvait incarner en une même soirée les trois grands rôles féminins des Contes d'Hoffmann.
Le panel de ces jeunes voix et de prestigieux invités poursuit son exploration du répertoire de Christiane Eda-Pierre et montre ainsi, littéralement, combien de voix furent réunies en une carrière si accomplie. Le Gloria de Vivaldi (premier enregistrement de l'artiste) rappelle que sa carrière fut large, scénique mais aussi discographique. Candice Albardier y revient d'une voix émue et émouvante, notamment dans le vibrato et le souffle mais bien réarticulée de phrasés.
Le parcours mène de l'autre côté de l'Atlantique avec la prestigieuse invitation à l'occasion du Bicentenaire de la Révolution américaine en 1976 rappelant la dimension mondiale de la renommée d'Eda-Pierre. "E Susanna non vien... Dove Sono" de la Comtesse des Noces fait également l'événement ce soir car (suite à l'annulation pour cause de Covid au Capitole de Toulouse) Karine Deshayes offre au public la primeur de sa Comtesse. Le rôle et la ligne sont encore en cours d'appropriation, la voix restant droite et vibrant peu, sauf pour le finale libéré qui mène assurément vers un mémorable début futur.
La fin du récital rappelle que l'étendue de la carrière artistique de Christiane Eda-Pierre se compta en décennies et son répertoire en siècles, depuis le baroque jusqu'aux créations contemporaines (et notamment de la Vénus à l'ange : du Dardanus de Rameau au Saint-François d'Assise de Messiaen). Edwin Fardini interprète l'air par lequel il a remporté le Concours Voix des Outre-Mer 2021 : "Monstre affreux, monstre redoutable" et tout finit par La Clémence de Titus, avec l'air et le rôle des adieux à la scène de Christiane Eda-Pierre : Vitellia à La Monnaie en 1985. La boucle se boucle pour le parcours de cette carrière mais aussi de ce concert, cette fin étant honorée par de nouveaux débuts : ceux de Marie-Laure Garnier qui a expressément appris "Ecco il punto, Vitellia... Non piu di fiori" pour l'occasion, déployant dans cet air de Vitellia la maîtrise de son ancrage, de ses phrasés dans d'immenses élans de volume (un hommage et un rappel de tout ce que ce répertoire demande de matière vocale).
Tous ces interprètes sont accompagnés comme toujours par Jeff Cohen, avec l'équilibre le plus savant et précis de ce qu'il faut de soutien, d'encouragement et de liberté, comblant les incertitudes et renforçant les talents, à la mesure près.

Fabrice di Falco (Président des Voix des Outre-mer) apporte également sa voix à l'édifice de cet hommage : par le chant et par la parole. Les deux sont vibrantes, éloquentes, brillantes et recueillies à l'image de la rivière de diamants qui étincelle sur le poitrail de son costume noir. Les écarts de projections et de vibration extrêmes passant d'un aigu intense à un médium expirant, vers un grave poitriné et de nouveau en fusées vers l'aigu sont à l'image des passions de l'opéra et de cette vie. Il raconte sans les enjoliver ses rapports entiers avec la cantatrice, qui avait vu la première édition du Concours Voix des Outre-Mer. L'héritage que prône le contre-ténor est aussi dans cet hommage, ce souhait et cette adresse directe à Christiane Eda-Pierre, qui résonne très fortement dans cet Opéra Bastille : "Tu n'avais pas besoin qu'on parle de diversité, qu'on colle à la peau des artistes le mot de diversité mais qu'on leur colle à la peau leur talent."
