Grands Motets de Bach en la Chapelle Royale de Versailles
Valentin Tournet et son ensemble de La Chapelle Harmonique relèvent le défi du contrepoint et de la polyphonie virtuose en double chœur du Cantor de Leipzig. Face aux enjeux d’une interprétation lumineuse et vivante, et sans doute face à la ferveur de retrouver enfin et véritablement son public, après plusieurs mois de séparation, Valentin Tournet prend un tempo un rien trop enthousiaste, ne laissant pas les oreilles (des artistes comme des auditeurs) s’habituer à l’acoustique généreuse de la Chapelle. L’écriture foisonnante de cette polyphonie complexe et dense, avec une telle intensité de l'engagement, vient ainsi abasourdir l’auditeur. Pourtant, les effets de stéréophonie entre les deux chœurs font leur office et, grâce à une concentration extrême de chacun, chanteurs et instrumentistes réussissent à être ensemble, se calant sur la direction ronde et rebondie de leur chef.
La concentration de tous reste de mise pour chaque motet. Le son des chœurs reste toujours très travaillé mais la richesse et l’intensité constante empêchent de réels reliefs dans les phrasés. La profondeur manque particulièrement pour O Jesu Christ, meins Lebens Licht (Ô Jésus, lumière de ma vie) qui aurait mérité davantage de tendresse plutôt qu’un surplus de lumière éclatante. Bientôt, cette interprétation constamment extravertie, qui démontre certes un travail indéniable sur la prononciation du texte, en vient toutefois à questionner sur la compréhension du propos (faisant disparaître la notion pourtant essentielle d’imploration, ne serait-ce que pour Komm, Jesu, komm).
L’interprétation affirmée pour orgue seul de Jesu, meine Freude par François Guerrier, sait pour sa part rendre le cantus très distinct sur son accompagnement chromatique et rampant avec une bonne direction de phrasé. L’écriture de Bach l’imposant, le motet composé à partir de ce choral présente alors davantage de contrastes aux voix, notamment avec ces « nichts » incisifs.
Ce motet, plus encore que les autres, est l’occasion d’entendre quelques voix solistes, à commencer par le contre-ténor alto William Shelton, excellent de phrasés de sa voix claire. Le timbre lumineux de la soprano Anna-Lena Elbert charme par sa légèreté, tout comme (quoiqu’un peu moins présente) sa collègue Hélène Walter. Placés côte à côte, William Shelton et Anna-Lena Elbert font preuve d’une symbiose toute particulière dans le chœur.
Si le ténor Benjamin Glaubitz ne semble pas toujours très à son aise en ce concert, notamment dans sa conduite de phrasés, il réussit à se défendre en montrant le soin de sa diction et sa présence. La basse Christian Immler fait pour sa part entendre une voix constamment sûre, que ce soit par la profondeur de son timbre ou dans sa conduite musicale, notamment lors des interventions en trio masculin.
Dans la même veine et dans l'ensemble, le motet Fürchte dich nicht, ich bin bei dir (Ne crains pas, je suis avec toi) sonne presque trop joyeux et lumineux, quoique cette interprétation du texte soit défendable. Les virtuoses vocalises font alors leur plein effet final sur Hallelujah avec le pétillant Lobet den Herrn, alle Heiden (Louez l’Eternel, vous tous les nations), notamment grâce aux instrumentistes, toujours très attentifs à l’équilibre bien qu’ils semblent parfois ne pas oser jouer (le premier violon David Plantier avance souvent, comme sur la pointe des pieds, sur la seule pointe de son archet).
Paradoxalement, un certain effet de fatigue en fin de concert a pour vertu de proposer le bis dans un tempo plus raisonnable et le discours gagne alors en clarté.
L’auditeur exprime son plaisir d’avoir pu entendre de nouveau ces œuvres grandioses de Jean-Sébastien Bach, interprétées avec beauté et brio, bien qu’il aurait pu souhaiter davantage de profondeur dans cette musique qui, bien au-delà de son écriture et de sa technique, est riche d’un sens qui était très cher au compositeur et à ses fidèles.