Valérie Lesort dynamite Orphée et Eurydice de Gluck à l’Opéra Comique
Orphée en a vu de toutes les couleurs depuis que l’opéra existe, des lamentations de Monteverdi (L’Orfeo, 1607) aux bouffonneries d’Offenbach (Orphée aux enfers, 1858), en passant par le classicisme "réformé" de Gluck (Orphée et Eurydice, 1762). Le pauvre héros pensait avoir tout vu, tout entendu, tout fait. C’était sans compter évidemment sur la folie et le talent de Valérie Lesort. La metteuse en scène -qui s’était déjà faite remarquée pour ses mises en scènes inventives du Domino noir et d’Ercole Amante en collaboration avec Christian Hecq- propose avec cette Petite balade aux enfers une réinterprétation déjantée du célèbre opéra de Gluck, avec chanteuses et marionnettes.
Une adaptation surprenante du chef d’œuvre de Gluck
L’adaptation, signée Valérie Lesort pour le texte et Marine Thoreau la Salle pour la musique, reprend les principaux épisodes et airs de l’opéra de Gluck, dont le célébrissime « J’ai perdu mon Eurydice ». Transcrite pour piano seul, la partition perd un peu en puissance musicale, tout en proposant une version fidèle de l’œuvre de Gluck, le tout avec une remarquable économie de moyens. Valérie Lesort ajoute quant à elle son délicieux grain de sel à l’histoire, à travers notamment un prologue explicatif narré par Zeus lui-même. Les personnages ont eux aussi le droit à une petite cure de jouvence : Orphée est présenté comme un fils prodigue qui, incapable de se battre, fait la honte de son père, tandis qu’Eurydice est une femme au fort caractère, un tantinet nunuche, qui se trouve moche, vieille et grosse parce qu’Orphée ne daigne pas la regarder.
Toujours aussi inventive -ceux qui ont vu Ercole amante à l’Opéra Comique ne sont pas près de l’oublier !-, Valérie Lesort signe une mise en scène délirante où les personnages sont interprétés par de drôles de marionnettes à moitié humaines. Tantôt minuscules, tantôt géantes, celles-ci évoluent dans un petit castelet de marionnettes qui dédouble le cadre de la scène. Orphée et Eurydice, tous deux habillés à la mode antique, rencontrent une ribambelle de créatures démoniaques lors de leur virée aux enfers. Animales ou humaines, touffues ou velues, volantes ou rampantes, elles s’en donnent particulièrement à cœur joie lors d’interludes où s’enchaînent des gags provoquant l’hilarité des plus jeunes, parfois même des moins jeunes. Elles sont manipulées avec ingéniosité par Christian Hecq, génial comme à son habitude dans le rôle de Zeus facétieux à souhait, Sami Adjali et Florimond Plantier, ainsi que les trois chanteuses présentes sur le plateau. Il suffit d’entendre les rires des nombreux enfants présents durant cette représentation scolaire pour comprendre que la magie opère à plein pot.
Des artistes qui ne se prennent pas au sérieux
La mezzo-soprano Marie Lenormand est méconnaissable en Orphée, rôle masculin qu’elle interprète avec verve et panache -comme dans la version révisée par Berlioz en 1859. Sa voix au timbre noble dessine les contours d’un homme meurtri, parfois chouineur, personnage auquel elle n’hésite pas à conférer un côté volontairement ridicule. Certains airs sont entrecoupés de sanglots et de reniflements, éléments éminemment comiques qui n’enlèvent rien pour autant à la qualité de la prestation vocale. Tantôt effondrée, tantôt rieuse, Marie Lenormand fait montre de toute son agilité dans « Viens, suis un époux qui t’adore », qu’elle ponctue de vocalises superbes, et s’illustre avec brio dans le registre plus dramatique avec « J’ai perdu mon Eurydice » tout en nuances.
Eurydice est campée par l’énergique Judith Fa, qui prend un plaisir évident à jouer les divas, tant vocalement qu’au niveau du jeu scénique. Ses aigus, qui se rapprochent tantôt de la délicatesse de la lyre d’Orphée, tantôt de la sauvagerie des créatures infernales, impressionnent par leur puissance et leur tenue, magnifiés par une belle longueur de souffle. La jeune et prometteuse Marie-Victoire Collin, issue de la Maîtrise Populaire de l’Opéra Comique, délivre quant à elle une performance rafraîchissante dans le rôle d’Amour. Son timbre est éclatant, sa diction précise et son jeu charmant, l’ensemble conférant à cet Amour un charme angélique que seules quelques répliques plus détonantes viennent circonscrire. Les quelques interventions de la maîtrise de l’Opéra Comique offrent enfin de jolis moments vocaux, portés par des voix adolescentes au timbre encore parfaitement pur mais à la technique remarquable.