Retour aux velours de La Monnaie, récital Sabine Devieilhe à Bruxelles
Ce même programme a été enregistré à La Scala de Milan (marquant là aussi la reprise des activités en récital) le 14 décembre, vidéo intégrale :
Après Is this the end? que le public avait pu voir depuis son salon grâce au streaming une semaine auparavant, La Monnaie officialise sa ré-ouverture physique et le retour à ses fauteuils de velours avec un récital des plus classiques. Le public bruxellois revoit ainsi enfin se tenir à nouveau devant lui (pour la première fois en récital) Sabine Devieilhe qu’il avait ovationnée en Reine de la Nuit de La Flûte enchantée avec la mise en scène osée de Castellucci en 2018. L'ambiance est plus intimiste, fidèle au concept de récital que la soprano colorature vient présenter dans un programme bleu-blanc-rouge avec des mélodies françaises signées Debussy, Poulenc, Fauré et Ravel, accompagnée au piano par Alexandre Tharaud.
Après des mois de confinement et de froideur musicale derrière des écrans de fumée, ici « faire taire le silence » devient le slogan/programme de réouverture pour la maison-mère (qui rend l'accès à sa salle principale, tout en mettant en place un dispositif Covid-compatible). Le résultat : les cinq premiers rangs sont vides et s’ensuit un placement binaire exactement alterné (101010101...) afin de limiter tout rapprochement. Derrière la rigidité des mesures un peu « tue l’amour », la musique ne se ternit pourtant pas. Rien de mieux ici que l'intimité d’un récital pour tuer le silence, et renouer avec 568 fidèles (sur une jauge de 1152) afin de pouvoir sentir à nouveaux la musique du réel et officialiser pour les interprètes le début d’une tournée européenne.
Émue d'être entendue à nouveau, la soprano colorature s'attaque donc à la mélodie française en pleine mutation, entre les XIXème et XXème siècles qui, selon ses propres mots, la « définit artistiquement » avec deux grands cycles : les Cinq mélodies populaires grecques (1904-1906) de Ravel, les Ariettes oubliées ( 1885-1887) de Debussy, mais aussi des perles mélodiques choisies de Poulenc et Fauré, qui permettent un lien plus proche encore du public par leur fougue et une certaine gouaille bien française.
« La mélodie quitte alors progressivement ces salons, s'émancipe de son statut d'art bourgeois. Il n'est plus question de jeunes filles qui se mettent au piano et se font accompagner un membre de leur famille -même si cette esthétique de la romance est empreinte d'un charme qui me touche beaucoup » déclare ainsi Sabine Devieilhe
Derrière l'apparente facilité des airs connus se cache un talent d'interprétation redoutable et révélateur. Sabine Devieilhe semble se jouer de son talent avec légèreté, et pourtant exacerbe chaque sensation sonore. Les silences sont plus lourds, les aigus plus fins, les notes suspendues ne retombent jamais. Derrière la difficulté de chaque partition, et la joie de retrouver son public, le duo offre à entendre une musique qui répond à tout silence avec une acuité pénétrante. Alexandre Tharaud dialogue avec la soprano par un touché perlé, impressionniste, très respectueux du texte que la chanteuse caractérise de « concret ». Fine et délicate, piquée, suave et ondulatoire, la voix de la soprano s'accorde au champ lexical aquatique, fluide et semblant infini.
« L'exercice du récital est assez délicat pour l'interprète car c'est à lui de prendre en charge la dramaturgie de la soirée. Avec Alexandre Tharaud, nous avons ficelé le programme à la table selon nos affinités, en imaginant un parcours au sein d’énergies assez contrastées ».