De Grandes Voix font triompher Werther au TCE
Il est parfois des soirées, à l’opéra, qui revêtent un caractère exceptionnel, presque magique, voire mystique. On les reconnait généralement à la vigueur et à la longueur des applaudissements lors des saluts finaux. Cette représentation en version concert de Werther au Théâtre des Champs-Elysées en fait indéniablement partie. Rarement cette saison les frissons se seront enchaînés à ce rythme malgré la chaude atmosphère régnant dans la salle de spectacle.
Rendons à César ce qui est à César, le premier artisan de ce succès reste Jules Massenet qui composa en 1892 ce chef-d’œuvre d’une richesse orchestrale, d’une puissance dramatique et d’une finesse vocale que peu d’opéras dépassent. Mais cette richesse, cette puissance et cette finesse nécessitent de grands interprètes pour donner leur pleine mesure. Cette condition était largement réunie hier soir. A commencer par le directeur musical Jacques Lacombe, exceptionnel, tirant le meilleur de l’Orchestre National de France. S’appuyant sur des solistes de grande qualité (au violon, violoncelle, harpe et basson notamment), l’ensemble alterne l’entrain et la vivacité des moments de joie de l’environnement de Werther, la mélancolie et la force dramatique du héros, et la subtilité qui convient aux duos d’amour, nouant la gorge du spectateur à plusieurs reprises. Car telle est la force dramatique de l’œuvre : placer le désespoir du personnage dans des environnements joyeux (anniversaire de mariage du pasteur et nuit de Noël) afin de mettre en exergue sa solitude et son inadaptation au bonheur.
Jacques Lacombe dirigeait l'Orchestre National de France
Le rôle-titre était interprété pour l’occasion par Juan-Diego Florez. Devant la difficulté du rôle, le ténor péruvien avait renoncé au nœud-papillon traditionnel (qu’il avait d’ailleurs fini par retirer lors de son récital de janvier à la Philharmonie - voir notre compte-rendu). Dès sa première intervention, la mélancolie du personnage s’affiche sur son visage, qui se fermera ensuite au fur et à mesure que Werther glissera dans son fatal désespoir. Il lui aura d’ailleurs fallu plusieurs minutes d’ovations, une fois l’ouvrage achevé, pour sortir de son rôle et se décrisper. Vocalement, il est éblouissant de bout en bout, déroulant ses grands airs avec force et conviction, servant la poésie du livret de Blau, Milliet et Hartmann par la délicatesse de son phrasé. Comment ne pas s’identifier à son Werther lorsque celui-ci déclame : « Tout mon corps en frissonne ! » ? Sa mort, rythmée par les basses de la musique techno émises par la boîte de nuit mitoyenne et étonnamment audibles depuis la salle, parvient également à rester très émouvante malgré l’absence de mise en scène qui n’aide pas à animer ce long duo.
Juan-Diego Florez incarnait Werther (© Decca / Josef Gallauer)
Face à lui, Joyce DiDonato, resplendissante, interprète Charlotte. Certes, sa prononciation en français n’est pas parfaite, mais son amplitude vocale, la chaleur de son timbre et sa puissance dans les moments les plus dramatiques rendent son interprétation éblouissante. Son sens de la nuance est exceptionnel. La maîtrise qu’elle garde de son vibrato dans les pianissimi l’est tout autant. D’enjouée dans la première scène, jouant avec les enfants du Bailli, elle parvient dès sa seconde intervention à rendre une grande émotion, lorsque Charlotte évoque le décès de sa mère. Avec l’air des lettres, durant lequel Charlotte relit les écrits de Werther et comprend que l’amour qu’elle lui porte est irrépressible, elle galvanise le public par ses élans dramatiques.
Joyce DiDonato incarnait Charlotte (© Simon_Pauly)
Lorsque nous l’avions rencontré il y a quelques semaines à Nantes, alors qu’il travaillait déjà son rôle d’Albert entre deux représentations de Don Giovanni dont il tenait le rôle-titre, John Chest nous avait longuement parlé de sa conception du rôle (voir l’interview). En particulier, un passage l’amusait : celui durant lequel Albert, sur un ton qu’il envisageait légèrement provoquant, conseille à Werther d’abandonner son amour pour Charlotte afin d’épouser Sophie, la sœur de cette dernière. Il dût afficher non sans plaisir son sourire narquois destiné au personnage incarné par la star de la soirée ! Malgré l’absence de mise en scène, il parvient à marquer l’évolution de son personnage, qui exige finalement d’un air réellement mauvais de Charlotte qu’elle apporte leurs armes (qui serviront au suicide final) à Werther. Valentina Nafornita incarne une Sophie plus coquette qu’à l’accoutumée, d’une voix magnifique mais trop corsée pour exprimer la gaieté intrinsèque et l’insouciance du personnage. Luc Bertin-Hugault campe un très bon Bailli (le père de Charlotte et Sophie), malgré une différence d’âge avec son personnage se chiffrant en décennies, grâce à sa prestance, sa diction et son timbre chaud et charmant. Enfin, les deux compères Schmidt et Johann, dépositaires des passages comiques de l’œuvre, sont interprétés avec beaucoup d’intention par Marc Larcher et le très élégant Nicolas Rivenq.
John Chest incarnait Albert (© Andrey Stoycher)
Il s’agissait là du second opéra donné en version concert cette semaine au TCE, après Persée de Lully mercredi dernier (voir notre compte-rendu). Après ce triomphe, nous attendrons avec impatience le troisième de cette série, ce lundi, avec la Somnambule de Bellini portée par Sabine Devieilhe et John Osborn. Le compte-rendu en sera bien sûr disponible le lendemain sur Ôlyrix !
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Mise à jour du 12 avril : suite à cet article, le Théâtre des Champs-Elysées nous a contactés afin de préciser que le bruit de musique techno importunément audible durant la fin du concert provenait du restaurant Le Manko, également locataire des locaux, mais indépendant du Théâtre, et qu'un accord a été trouvé afin que ces nuisances ne se reproduisent plus.