John Chest : "Chanter Amfortas dans Parsifal serait un aboutissement"
John Chest, vous chantez actuellement Don Giovanni à Angers Nantes Opéra. Vous effectuez votre prise de rôle dans une mise en scène apportant un regard original sur l’œuvre.
En effet. Et c’est amusant car j’ai un ami qui dirige actuellement une autre version de Don Giovanni à l’Opéra d’Arizona, aux Etats-Unis. Le public y joue un rôle plus important dans le choix des œuvres et de leur traitement car il est le principal financeur de l’institution, via la vente de places et le mécénat. J’en ai vu des photos. La mise en scène, et les costumes en particulier, y est très traditionnelle, avec un Don Giovanni en culotte courte. Bien sûr, l’œuvre et le livret font référence à cette période, et le spectacle a donc du sens ainsi. Mais je trouve ce que nous avons fait bien plus intéressant : prendre toutes ces situations, ces problèmes, ces intrigues et essayer de comprendre ce que cela donne lorsque les gens ont ce type de relation en 2016. Quelles sont aujourd’hui les conséquences lorsqu’une personne ignore à ce point la morale et la loi ? Comment cela affecte-t-il les personnes autour ? Cela nous oblige à revoir certaines choses. Par exemple, la relation entre Don Giovanni et Leporello : il ne s’agit plus d’une relation maître-valet, qui n’aurait aucun sens aujourd’hui. Mais il y a aujourd’hui d’autres disparités créant ce type de relation. Dans cette mise en scène, nous avons abouti à une sorte d’amitié déséquilibrée entre les deux personnages.
Comment se passe le travail avec les metteurs en scène ?
Patrice Caurier et Moshe Leiser ont une manière de travailler très particulière et très complémentaire. Moshe est généralement avec nous sur la scène. Nous discutons beaucoup avec lui. Patrice apporte plus la vision d’ensemble. Il est plus dans un rôle de supervision.
John Chest dans Don Giovanni par Patrice Caurier et Mosche Leiser (© Jef Rabillon / Angers Nantes Opéra)
Était-ce une vision de l’œuvre que vous aviez déjà avant le début des répétitions ?
C’est bien sûr un opéra que j’ai souvent vu. J’en ai également souvent chanté des extraits en récital, comme le « Là ci darem ». Mais je n’avais jamais réellement réfléchi au personnage, même si je savais que je le ferais un jour. Puis lorsque je me suis plongé dans la partition, je me suis rapidement posé beaucoup de questions, pour essayer de comprendre comment ce personnage en est arrivé à traiter les gens de cette manière sans se soucier des conséquences. Est-ce inné ou cela vient-il de problèmes qu’il a eus durant son enfance ? Il ne s’agissait pas nécessairement de questions à poser à Patrice et Moshe et je n’ai d’ailleurs pas particulièrement cherché à y répondre de manière concrète. Mais ces réflexions avaient déjà nourri mon personnage avant de débuter le projet.
Pourquoi avoir fait un Don Giovanni si sombre ?
Avec Moshe, nous avons cherché à rendre Don Giovanni humain. Qu’il soit possible de s’y identifier, même s’il fait des choses que la plupart des gens ne feront jamais. Nous voulions le montrer lorsqu’il abuse les gens, est violent et dur, mais aussi lorsqu’il est fragile car c’est ce qui en fait un personnage plus complet et plus complexe. Nous ne nous sommes jamais dit que nous voulions faire quelque chose de sombre. Mozart a appelé son opéra « Dramma giocoso » [littéralement « drame joyeux », ndlr], ce qui est un curieux mixe entre l’ombre et la lumière, l’humour et le drame. Et en effet, il y a des moments terrifiants et sombre, et d’autres qui sont très drôles. Nous avons laissé apparaître cette lumière. Mais la vision de Moshe était que le meurtre du Commandeur, que nous supposons être son premier, appelle des conséquences irrémédiables. Même s’il s’en est sorti auparavant lorsqu’il enfreignait la loi, il a cette fois dépassé le point de non-retour. Nous avons donc imaginé comment il réagirait à cette situation. Ce n’est pas quelqu’un qui, dans un tel cas, s’assoit et attend que la police vienne le chercher. S’il lui reste une nuit de liberté, il va chercher à décider comment l’employer, dans quels excès. Il était un homme à femme, il devient violeur. De même, il va prendre toutes les drogues qu’il trouve. Moshe faisait souvent référence à James Dean fonçant à 100 à l’heure vers la falaise dans la Fureur de vivre : Don Giovanni cherche à garder le contrôle aussi longtemps qu’il le peut.
Vous aviez déjà chanté Masetto : est-ce plaisant d’aborder deux personnages d’une même œuvre ?
J’ai en effet chanté Masetto il y a trois ans et demi. Ce fut une belle manière d’aborder cet opéra, mais ce rôle n’est en fait pas très adapté à ma voix. La tessiture est trop basse et cela m’avait donné beaucoup de difficultés. Mais c’est en effet quelque chose de très intéressant en termes de travail d’acteur. Je l’ai fait également dans la Flûte enchantée, avec Papageno et l’Orateur. Il y a aussi de nombreuses œuvres dans lesquelles j’ai fait un tout petit rôle à mes débuts, avant d’y revenir pour un rôle plus important.
Avez-vous déjà prévu de reprendre le rôle de Don Giovanni à l’avenir ?
Il n’y a rien de signé à l’heure actuelle, mais j’aimerais beaucoup le refaire. C’était une belle occasion de m’y essayer car l’acoustique intimiste de l’opéra de Nantes permet de moins forcer sur la voix que dans d’autres environnements. J’étais un peu inquiet au départ, car Don Giovanni est écrit pour une tessiture plus basse que le Comte dans les Noces, que j’ai beaucoup chanté. J’avais peur de ne pas y arriver. Puis j’ai découvert que Mozart a en fait écrit Don Giovanni avec trois voix différentes. L’une, positionnée assez haut, est celle de « Finch'han dal vino ». Elle évoque sa rage et sa folie. Il s’agit presque d’un cri. Mais il a aussi une voix séductrice, également haute dans la tessiture, mais avec un phrasé beaucoup plus legato. Elle est fluide et charmante. C’est typiquement celle du « Deh, vieni alla finestra ». Il y a enfin une voix plus grave d’une tierce, lorsqu’il imite Leporello dans « Metà di voi qua vadano ». Cela m’a beaucoup aidé de les identifier et de les séparer.
John Chest (© Andrey Stoycher)
Vous vous préparez actuellement à chanter Albert dans Werther au Théâtre des Champs-Elysées. Il s’agira d’une version concertante : qu’est-ce que cela change pour vous ?
Il s’agira de ma seconde interprétation du rôle. La première était déjà en version concertante. Le personnage d’Albert est bien moins complexe que celui de Don Giovanni. Sa relation avec les autres personnages est plus simple. C’est aussi un beaucoup plus petit rôle. Le fait qu’il n’y ait pas de mise en scène ne devrait donc pas changer grand-chose. Peut-être simplement cela me permet-il de me concentrer sur la musique, sans entrer autant dans la psychologie du personnage.
Justement, quelle est votre vision du personnage ?
Lorsqu’un personnage est peu présent sur scène, comme c’est le cas d’Albert, il est possible d’imaginer beaucoup de choses. A la fin de l’opéra, sa jalousie éclate et il devient détestable vis-à-vis de Charlotte. Cela dit tout de même beaucoup de choses du personnage. Au début, il revient après six mois d'absence et Sophie lui apprend que Charlotte a parlé de lui et qu’elle attendait son retour avec impatience. Puis dès qu’elle le laisse seul, il se répète « Elle m’aime, elle pense à moi », juste avant l’air « Quelle prière de reconnaissance et d’amour ». Il y a plusieurs manières de jouer cela, mais cela montre de manière évidente qu’il a douté des sentiments de Charlotte. Il ressent un réel soulagement. Et justement parce qu’il devient odieux, il est intéressant de capter ce moment de lumière, au début, qui le rend plus humain. Je ne pense pas qu’une telle évolution du personnage soit facteur de confusion en version concert car cela permet de comprendre pourquoi il agit comme il le fait à la fin, et le public peut s’identifier à lui.
Vous chanterez ensuite Valentin dans Faust à Toulouse, soit une nouvelle incursion dans le répertoire français : est-ce le nouvel axe que vous souhaitez donner à votre carrière ?
En effet, ma voix se prête bien à ce répertoire. J’ai une grande affinité pour le répertoire allemand, mais ma voix n’y est pas du tout adaptée, pour l’instant du moins. Il en va de même pour le répertoire verdien. Il est donc assez logique pour moi d’explorer ce répertoire. Ainsi, j’ai plusieurs Valentin de prévus. Bien sûr, Pelléas devra également être sur mon chemin car le rôle est vocalement très adapté. J’en ai d’ailleurs un programmé pour 2018. Ça a été un objectif pour moi depuis de longues années. Tout m’inspire dans ce rôle, la vocalité, la dramaturgie, la musique. Par ailleurs, j’aime beaucoup chanter en français. J’inclus aussi souvent que possible de la mélodie française à mes récitals. Je fais d’ailleurs la même chose avec le répertoire allemand en intégrant des lieder.
Justement, vous disiez il y a quelques années espérer réussir à équilibrer votre carrière entre opéra et lieder. Avez-vous le sentiment d’avoir atteint cet objectif ?
J’ai toujours cet objectif aujourd’hui. Mais en même temps, j’ai toujours su ce qu’était la réalité, c’est-à-dire que les récitals ne pourraient pas me faire vivre. J’adore en chanter. C’est à la fois difficile et très valorisant car il n’y a qu’une voix et un piano, ce qui crée une sorte d’intimité avec le public. J’adore évidemment également chanter des opéras, et c’est plus là que je peux gagner ma vie. L’opéra supporte en quelque sorte mon addiction au récital (rire).
Vous avez fait partie de deux troupes en Allemagne : est-ce quelque chose que vous recommanderiez à de jeunes artistes ?
La chance que j’ai eue, en intégrant la troupe de l’Opéra d’Etat de Munich en tant que jeune artiste, c’est d’y être traité comme un professionnel. Bien sûr, j’y étais pour apprendre, je ne faisais que de petits rôles et j’étais très peu payé, mais j’étais souvent sur scène. J’y ai fait environ 80 représentations, entouré d’artistes fantastiques. Ce fût une grande opportunité.
Je fais maintenant partie de la troupe de l’Opéra Allemand de Berlin, en tant que chanteur à part entière, bien mieux payé. C’est également fantastique car cela me donne l’opportunité d’enchaîner les prises de rôle à un rythme que je ne pourrais pas envisager en tant que freelance. Cela me permet de construire mon répertoire. Ces opéras de répertoire sont très organisés pour nous aider à apprendre les rôles. Ils ont des coaches qui nous préparent. C’est finalement moins difficile que lorsque l’on prend un rôle en tant qu’artiste invité car dans ce cas, on est tout seul pour travailler.
John Chest et Elodie Kimmel dans Don Giovanni par Caurier et Leiser (© Jef Rabillon / Angers Nantes Opéra)
Parlons de vos projets : vous reverra-t-on en France dans les saisons à venir ?
Absolument. Mon contrat avec l’Opéra Allemand de Berlin se termine dans un an et demi, et je garderai une relation étroite avec cette institution ensuite. Mais pour le reste, il est très difficile de travailler en tant qu’invité dans le système allemand, car pour chaque rôle, il y a quelqu’un dans la troupe capable de le chanter. Et puis, comme nous l’évoquions, ma voix se prête aux œuvres françaises. Enfin, mes deux participations au Festival d’Aix-en-Provence [Roberto dans la Fausse Jardinière et Demetrius dans le Songe d’une nuit d’été, ndlr] m’ont donné une visibilité et les maisons françaises me contactent plus souvent depuis que j’ai chanté ces rôles.
Quels sont les rôles que vous aimeriez vraiment aborder un jour ?
A long terme, dans le répertoire allemand, j’aimerais vraiment chanter Wolfram dans Tannhäuser, puis, encore plus loin, Amfortas dans Parsifal. Mais cela n’arrivera probablement pas avant mes cinquante ans, ce qui me laisse vingt ans pour m’y préparer (rire) ! Musicalement, ce serait un vrai aboutissement. Dans le répertoire italien, j’aimerais aussi élargir mon répertoire mais il faut faire les choses au bon moment. La première étape pourrait être Posa dans Don Carlo. Je commence à parler de ce rôle avec des opéras. J’espère donc parvenir à le chanter au cours des cinq prochaines années. Il s’agit à mon sens de la prochaine grande étape de ma carrière. Mais peut-être que je découvrirais autre chose dans les prochains mois, qui m’emmènera dans une autre direction ! Un autre rôle qui me fait rêver est Eugène Onéguine, mais je dois d’abord voir si j’arrive à chanter en russe, car je ne veux pas chanter en phonétique. J’aime créer une connexion avec les mots, donc cela représente un très gros travail pour moi. D’un point de vue strictement vocal, le rôle serait déjà parfaitement adapté.
Si vous aviez à composer une production, que serait-elle ?
L’opéra que j’aime le plus au monde est Billy Budd de Britten. Ce serait donc probablement celui-ci, même si j’aime tout ce qu’a écrit Britten. J’adore cette musique et je l’ai souvent chantée. Concernant le lieu, j’aimerais beaucoup faire mes débuts à Covent Garden. Un Britten serait une parfaite occasion. Cela me permettrait d’allier ma passion et mon ambition. Pour ce qui est du metteur en scène, ce serait quelqu’un qui porte un vrai regard sur l’œuvre. C’est le cas de Patrice et Moshe. J’ai vraiment adoré travailler avec eux. Je signerais les yeux fermés pour un autre projet avec eux. Mais je viens également de faire une production avec Keith Warner à Dresde, qui a également une approche très théâtrale de l’opéra, qui me plait beaucoup.
Réserver mes places pour Werther au Théâtre des Champs-Elysées, avec John Chest en Albert.
Pratique : pour être tenu informé de l'actualité de John Chest, cliquez sur "Ajouter aux favoris" sous le titre de sa fiche, après vous être connecté !